École : un manifeste pour « grandir ensemble »
« Le ghetto scolaire, pour en finir avec le séparatisme » plaide pour d’autres cartes scolaires
C’est presque un double livre que nous offrent François Dubet, un de nos meilleurs sociologues de l’éducation, et Najat Vallaud-Belkacem, l’ancienne ministre de l’Éducation nationale de 2015 à 2017 sous la présidence de François Hollande. On y trouve à la fois un condensé magistral de la sociologie de l’éducation et de sa démonstration implacable des méfaits réciproques des inégalités sociales sur l’école, mais aussi le récit d’expériences conduites sur le terrain pour trouver des solutions adéquates. Expériences interrompues en 2017 par l’alternance politique.
L’analyse conduit au rappel salutaire du cercle vicieux des inégalités, sociales, culturelles, de genre ou d’origine déterminant les inégalités scolaires qui elles-mêmes, en retour, les renforcent. D’où cette incompréhension, encore trop souvent répandue, des raisons pour lesquelles l’école française apparait année après année comme un élève médiocre dans les comparaisons internationales. Qu’il s’agisse des maths, du français ou de la culture scientifique, le constat est le même, sans appel : ce sont moins les résultats des élèves de France que mesurent ces comparaisons internationales que l’ampleur des inégalités qui les caractérisent.
De là une conclusion immédiate, mais lourde, de l’ouvrage : lutter contre ces inégalités ne peut avoir de sens que si la société elle-même se transforme, car « la recherche de la mixité scolaire ne peut pas être un isolat politique ». Si le livre s’intitule « le ghetto scolaire », ce n’est pas par simple analogie. L’organisation urbaine de l’espace, est en effet marquée par la ségrégation sociale, ne serait-ce qu’à cause du coût du foncier et de l’immobilier. Une « carte scolaire » pensée en termes de proximité, à travers la notion de « sectorisation », traduit immédiatement cette ségrégation, et conforte spatialement ces multiples inégalités.
Des expériences conduites en 2015 et 2016, on retiendra le caractère pragmatique, soucieux d’associer l’ensemble des partenaires de la communauté scolaire ; ou l’assouplissement de cartes scolaires trop rigides, avec par exemple des secteurs multicollèges, ou des fermetures volontaires de collèges ; ou encore l’évaluation délibérée par des chercheurs des expérimentations conduites et de leurs résultats. L’ouvrage plaide pour une extension nationale de telles opérations. La conclusion est limpide : « il n’est pas possible de faire société sans avoir été, au préalable, scolarisé dans les mêmes conditions. L’enjeu est de grandir ensemble. Ce sera toujours plus efficace qu’une loi contre le séparatisme. »
« Le ghetto scolaire, pour en finir avec le séparatisme » de François Dubet et Najat Vallaud-Belkacem Le Seuil – 1er mars 2024