EDF : le gouvernement disjoncte

par Bernard Attali |  publié le 24/03/2025

L’absurde limogeage de Luc Rémont, PDG d’EDF, illustre les incohérences des pouvoirs publics envers les entreprises dont ils ont la charge. Bon plaisir du prince ou action oblique des lobbies industriels ? Les deux, peut-être…

Luc Rémont, PDG d'EDF, à la centrale nucléaire de Gravelines, le 15 janvier 2024. (Photo Magali Cohen / Hans Lucas via AFP)

La décision brutale prise par le gouvernement de débrancher le patron d’EDF démontre une nouvelle fois la schizophrénie de l’État actionnaire. L’actuel dirigeant du grand électricien français, Luc Rémond, n’est à son poste que depuis deux ans et demi. C’est très peu pour une entreprise qui, plus que toute autre, exige un pilotage à long terme.

Résumons. Au cours de ces deux années Luc Rémond, industriel reconnu, a relevé un immense défi. Il remis l’entreprise en ordre de marche, il a acquis une grande légitimité interne, il a redressé les performances opérationnelles d’un parc de 57 centrales, sévèrement dégradées, il a renégocie avec succès le mécanisme léonin qui régissait jusqu’alors la régulation des prix du nucléaire, il a remis les comptes à l’endroit (11, 4 milliards de profits en 2024, un record, contre une perte de 7,9 en 2023 ) et tout cela dans un climat social apaisé.

Certes l’État est devenu actionnaire à cent pour cent de l’entreprise depuis 2022 (pour un coût de 9,7 milliards !) Mais on constate une fois de plus que l’absence d’actionnaires privés, même minoritaires, fragilise la gouvernance d’une entreprise. Et conduit à des décisions erratiques et contradictoires. D’un côté, le Président de la République relance la construction d’au moins 14 nouveaux réacteurs de grande puissance (EPR), de l’autre le ministère des Finances entend que l’entreprise n’alourdisse pas sa dette énorme (54 milliards) héritée du passé.

D’un côté le gouvernement concède à l’entreprise une certaine liberté commerciale (accord de Bercy du 14 novembre 2023), de l’autre, il critique les nouvelles modalités contractuelles proposées par EDF aux grandes entreprises, modalités sur lesquelles il avait donné son accord après de longues négociations. D’un côté les pouvoirs publics prônent une Europe de l’énergie, de l’autre ils protestent quand l’entreprise élargit son système d’enchères pour trouver des clients à l’échelle européenne.

On peut d’ailleurs se demander qui exerce vraiment la tutelle d’EDF quand on lit le communiqué de l’Union des industries utilisatrices d’énergie en date du 7 mars dernier, s’insurgeant contre cette recherche de clients hors les frontières. Et quand, à ce propos, un grand industriel français parle de « bras d’honneur à l’industrie française », comme par hasard quelques jours avant le limogeage du dirigeant : oui, la question de pose de savoir qui est vraiment patron de l’entreprise.

Ayant vécu moi-même la schizophrénie de l’Etat actionnaire il y a quelques années à la tête d’Air France, je constate avec tristesse que rien n’a changé. Une grande entreprise est déstabilisée. Un grand patron du secteur public s’en va. Il peut garder tête haute. Mais le gouvernement, lui, s’est une nouvelle fois déconsidéré.

Bernard Attali

Editorialiste