Égypte : Sissi l’Imperator

publié le 12/05/2024

Bien pratique ce président policier, conservateur et militariste… tant qu’il reste dans l’orbite des puissants. Même si la rue menace d’exploser une nouvelle fois

Portrait du président égyptien Abdel Fattah Al-Sisi - Photo Majdi Fathi/ NurPhoto

Février 2011 : l’Égypte, minée par corruption, autoritarisme et népotisme, incapable de redresser une situation économique que libéralisation à outrance et crise de 2008 ont rendue dramatique, voit sa rue révoltée chasser Moubarak. Morsi, candidat des Frères musulmans, est élu en 2012 et met en œuvre la politique prescrite par le mouvement créé à Ismaïlia en 1928. Nouveau « Tamarrod » ( « rébellion »)  : l’armée placée sous les ordres d’Abdel Fattah al-Sissi destitue Morsi en juillet 2013.  

L’heure du général-président, fait maréchal en 2014, a sonné.  Il remporte l’élection présidentielle de mai 2014 (réélu en 2018 et 2023, il s’est assuré de demeurer au pouvoir jusqu’en 2030). Militaire de carrière d’origine modeste de 69 ans, le nouveau raïs a tout pour plaire à une scène internationale qui lui sait gré de contenir les aspirations d’une jeunesse moderniste antisioniste et celles des ultras sunnites qui rêvent d’instaurer au Caire un nouveau califat. Conservateur laïque et nationaliste, peu soucieux des formes démocratiques, il est méprisé par les milieux culturels qui raillent sa vanité.

Sa politique est dictée par un souverainisme de façade. Elle maintient la jeunesse diplômée sous un joug cruel. Elle promeut l’Islam modéré aux dépens du frérisme populaire. Elle s’aligne, sans s’aliéner le « sud global », sur les positions régionales des États-Unis et plus généralement du camp occidental qui abreuve le pays d’aides et de visas.  Américains et Européens, mais aussi Russie et Chine, cultivent, ignorant les alertes des ONG, une opiniâtre amitié avec le leader d’un pays qui fut jusqu’en 1978 le principal ennemi d’Israël.

Ils soutiennent son libéralisme, ses investissements dans de grands travaux somptuaires et son tropisme militariste : les importations d’armes de l’Egypte ont augmenté de 220% depuis l’arrivée au pouvoir d’al-Sissi. Ils ne craignent en effet rien tant que l’entrée en sécession d’une Égypte venant concurrencer le leadership hostile de Téhéran. Le pays est lourdement endetté, la misère qui y règne est entretenue par les dépenses militaires et s’est trouvée accrue, l’Égypte étant le premier importateur mondial de blé tendre, par le déclenchement du conflit ukrainien.

L’UE a conclu en mars un partenariat avec Le Caire visant à l’octroi de quelque 7,4 milliards de dollars d’aides. Les USA, s’ils bronchent ici et là, accordent une aide militaire de 1,3 milliard de dollars annuels au pays depuis 2015. La Russie et l’Égypte coopèrent tous azimuts, notamment dans le domaine du nucléaire civil. Sur proposition de la Chine, l’Égypte a intégré cette année les BRICS. Elle fait tout pour complaire, y compris en leur cédant des pans de son territoire, aux exigences des généreuses puissances du Golfe. Le pays s’est de nouveau doté d’une politique africaine. Il est l’allié d’Israël dans sa lutte contre le Hamas, émanation des Frères musulmans.

Les pourparlers qui réunissent au Caire le directeur de la CIA, le Qatar, le Hamas et une délégation israélienne, l’attestent : l’Égypte d’al-Sissi est bien une puissance régionale médiatrice.

Mais elle ne l’est qu’au prix de la coercition policière de son opinion publique : le moindre signe de faiblesse du régime, notamment à l’endroit de faucons israéliens qui opèrent désormais à quelques mètres de la frontière du pays, pourrait le conduire à vivre un nouveau « Tamarrod » aux conséquences redoutables.