Eli Cohen, l’âge d’or du Mossad

par Yoann Taieb |  publié le 21/10/2023

La place des Martyrs, en plein centre de Damas, en Syrie, porte bien son nom. Ce 18 mai 1965, toute la population est invitée à s’y rendre. Le gouvernement annonce que sera exécuté le traître qui défraie la chronique, Kamel Amin Taabes. homme d’affaires proche du pouvoir syrien. Son vrai nom est Eli Cohen, juif, israélien et envoyé par le Mossad pour espionner.  Après des semaines de torture et un procès tronqué, il monte les marches de l’échafaud et se laisse tomber pour mourir. Une photo le montre pendu avec une pancarte blanche autour de lui qui récapitule les motifs de sa condamnation. Exposé des heures durant à la foule, son corps disparaît à tout jamais.

Eli Cohen était de ces jeunes juifs de la première moitié du XXe siècle marqués par la Shoah et le rêve d’un pays pour les israélites. Volontaire dans les groupes clandestins sionistes, il quitte l’Égypte et rejoint sa famille en Israël au début des années 50. Homme d’action qui s’ennuie ferme dans sa vie de comptable mal payé, il offre ses services au Mossad, le service de renseignements. Intelligent, parlant l’arabe, l’anglais et le français, le Mossad décide de l’exploiter dans le monde arabe, à Damas, où la qualité de ses renseignements est trop faible.

D’abord envoyé plusieurs mois en Argentine pour renforcer sa couverture et élargir son réseau, Kamel Amine Taabes finit par rentrer « au pays ». Toutes les portes s’ouvrent devant son charisme. La Syrie est en pleine fièvre nationaliste, chauffée à blanc par le projet de République arabe unie où Nasser tenait tous les fils des deux États. Les coups d’État succèdent aux coups d’État jusqu’à ce qu’Amin El Hafez devienne président en 1963. Par chance, Cohen avait créé une relation de confiance avec celui-ci lors de son séjour argentin. Proche du ministère de la communication, des armées et conseillé occulte du ministre de la Défense, ses informations vont changer la face du conflit israélo-syrien.

Tous les soirs, grâce à un poste émetteur, il tape ses rapports en morse. Fortifications militaires présentes sur le plateau du Golan, artillerie, matériel lourd, soldats, Cohen mémorise tout. Aujourd’hui, les historiens et militaires israéliens considèrent que son infiltration a été déterminante lors de la victoire de la guerre des Six Jours en 1967.

Épuisé, stressé et voyant les autorités syriennes le soupçonner, il avertit le Mossad qu’il est au bord de la rupture. Pas entendu, il repart en Syrie pour un ultime voyage et se fait attraper dans son appartement en pleine transmission. El Hafez demande un procès rapide pour celui qui a humilié les Syriens. Les accusés comme les juges sont des connaissances de Cohen, mais il n’y aura aucune pitié, malgré les offres d’Israël pour le récupérer et les médiations internationales.

On ne connaît pas exactement la raison de la capture d’Eli Cohen. D’aucuns pointent un surmenage qui lui a valu une prise de risque inconsidérée. D’autres pensent que les Syriens enquêtaient sur lui longtemps avant. D’autres encore pensent que Cohen-Taabes a multiplié les transmissions, dévié de sa mission originelle en finissant par traquer des nazis présents à Damas et a négligé sa sécurité.

Nul ne saura jamais la vérité, mais, depuis, Eli Cohen est devenu une légende de l’espionnage international. A l’heure des failles du renseignement, le souvenir de l’espion au matricule 566 peut servir à ranimer la foi patriotique d’un pays meurtri.

Le livre : L’espion qui venait d’Israël, par Uri Dan et Yeshayahu Ben Porat, 352 pages, Fayard (07/10/2020)

Yoann Taieb