Elvis et Priscilla : la star et l’enfant
Lui avait la célébrité, l’argent, le pouvoir, mais une addiction puissante à la drogue. Elle l’attendait, amoureuse et malheureuse. Avant d’avoir la force de retrouver sa liberté
Priscilla Presley par Sofia Coppola ? C’était une intention aussi étonnante, détonante, risquée que Barbie par Greta Gerwig, et cette fois encore, le résultat est à la mesure de la curiosité suscitée. Du reste, ces deux films ont des liens de cousinage, qui les rendent aussi séduisants et attachants l’un comme l’autre. Ils ont en commun d’être réalisés par des cinéastes féminines iconiques et d’oser s’emparer de sujets pop que l’on n’attendait pas. Un trait d’époque.
Tout commence avec la découverte à l’écran d’une jeune fille qui a encore l’air d’une enfant. Elle a 16 ans. Elle vit sur une base américaine en Allemagne avec ses parents. Son père est militaire. Elle a le mal du pays. Elle s’ennuie. Jusqu’à ce que se produise ce à quoi nous ne pourrions pas croire si le film n’était qu’une fiction. Cette jolie enfant est abordée par un homme dans une sorte de diner.
Coup de foudre
C’est un ami d’Elvis Presley, lui-même soldat en Allemagne, et déjà une star. Il se propose de le lui présenter. Les parents grognent, mais acceptent de laisser sortir leur fille. Priscilla et Elvis se rencontrent dans une soirée et c’est le coup de foudre. Il a dix ans de plus qu’elle. C’est la chance de la vie de Priscilla, à moins que ce ne soit le contraire, le début d’une immense malchance.
Sofia Coppola nous raconte une histoire invraisemblable et pourtant réelle, autant que l’on puisse faire crédit aux mémoires de Priscilla Presley, dont est adapté le film. Elvis Presley parvient à faire venir Priscilla aux États-Unis pour y conduire ses études, elle vit à Graceland, va au lycée chaque jour. Elvis la transforme en poupée Barbie, la couvre de vêtements chics, elle change de look. Il est très attaché à elle, mais il est souvent absent : il la cajole, mais ne lui fait pas l’amour. L’un a la renommée, l’argent, le pouvoir et une addiction puissante à la drogue qui lui permet de supporter la pression. L’autre est sous sa dépendance, elle l’attend, elle le désire, elle est malheureuse.
Mais Sofia Coppola est une femme cinéaste d’une grande intelligence. Elle pourrait filmer une victime ; en fait, elle invite Priscilla à assumer ses choix et filme la jeune femme avec une grande douceur. L’image est belle, toujours élégante. Elvis Presley n’est pas aimable, mais le regard que la caméra porte sur lui ne décide pas à la place du spectateur. Il fait comme il peut, son personnage le submerge, le malheur frappe aussi à sa porte. Priscilla le quitte. Elle monte en voiture. Elle part vers sa vie d’après. Résolue.
Objet inattendu
Le débat public, clivé dès qu’il est question des affaires de genre, sépare arbitrairement les opinions entre deux camps adverses qui s’attribuent l’un comme l’autre le monopole du bien contre la désignation du mal. Priscilla, comme Barbie à l’automne dernier, démontre combien le cinéma, lorsqu’il est bon, peut s’emparer de n’importe quel sujet pour créer des objets inattendus qui, à travers d’apparents stéréotypes, nous mène vers des chemins plus stimulants.
Chacun, dans son genre esthétique, nous propose, l’air de rien, de regarder en nous-mêmes, là où se disputent nos contradictions intimes. C’est moins confortable, mais ça fait du bien.