Émeutes : simplismes de droite et de gauche
Chaque camp politique plaque ses idées reçues sur une réalité rétive. Ce qui laisse dans l’ombre des questions décisives
Pour la droite et l’extrême-droite, tout est simple : si la mort du jeune Nahel débouche sur des nuits de violences urbaines effrayantes (même si leur nombre a décru samedi soir). Cela tient à trois causes : le manque de répression, qui diffuse un sentiment d’impunité chez les délinquants ; l’immigration, qui a créé des « territoires perdus de la République » en dissidence avec la France ; l’abaissement de l’autorité dans les familles et à l’école, qui autorise tous les débordements.
Or les émeutes ont été déclenchées, non par un manque de répression, mais par un excès policier meurtrier. Les jeunes de cité en rébellion sont en général nés sur le territoire et sont donc français ; quant à l’autorité au sein des familles, la critique s’adresse souvent à des mères qui élèvent seules leurs enfants (comme celle du jeune Nahel), dans des métiers mal payés, précaires aux horaires atypiques, qui les empêchent de jouer leur rôle de parent.
La gauche oppose à ces simplifications un discours social. Les émeutes naissent dans des quartiers pauvres, où les revenus sont bas, le chômage élevé et la précarité très répandue, où les services publics sont moins bien dotés qu’en centre-ville ; dédiée à l’intervention musclée, la police a creusé un fossé entre elle et la population, notamment avec sa fraction la plus jeune, qui s’est aussitôt identifiée au sort de Nahel M.
Le diagnostic est juste et la droite signe son aveuglement quand elle le taxe de « bien-pensance » lénifiante. Est-il suffisant ? Il faut craindre que non : le discours classique des progressistes laisse dans l’ombre quelques questions dérangeantes, qu’ils se gardent d’aborder franchement.
La demande de sécurité, en premier lieu, émane des quartiers eux-mêmes. Ceux qui y vivent réclament une plus forte présence policière, exigent des commissariats et des rondes, réprouvent dans leur grande majorité les violences de ces derniers jours. À cet égard, le refus d’appeler au calme manifesté au départ par certains élus était totalement irresponsable.
Immigrés ou non, les habitants des cités aspirent à une vie tranquille et supportent très mal une insécurité qui aggrave sans cesse leurs difficultés. L’insuffisance des effectifs de justice (même si les choses s’améliorent progressivement) induit une lenteur dans les procédures qui nuit gravement à l’exemplarité des peines.
Autrement dit, toute amélioration de la situation passe par meilleure politique sociale, mais aussi par une politique de sécurité active, qui comprend prévention et sanction.
Contrairement à ce que serine la droite, la majorité des immigrés et leurs enfants s’intègrent à la société française. Mais ils tendent à quitter les cités pour se fondre dans la population générale. En corollaire, ceux qui y restent se sentent traités en parias et, parmi eux, une minorité forme une sorte de contre-société minée par la délinquance et le trafic de drogue, pour qui la protestation en cours est surtout l’occasion de pillages et de vengeances nihilistes.
Les maires le savent : la gestion de ces quartiers suscite d’énormes difficultés chroniques, qui tendent à les transformer en poudrières. Dans cette situation, l’arrivée de nouveaux immigrés, qui se concentrent dans ces mêmes zones à loyers plus faibles, ne fait rien pour arranger les choses. Il y a un moment où la politique d’accueil, indispensable, doit être proportionnée aux capacités d’intégration des villes.
Enfin, si la recherche de l’autorité perdue relève souvent d’une trompeuse nostalgie des années cinquante ou soixante, le respect des professeurs, des pompiers, des services publics et des policiers qui font leur travail est une condition élémentaire de ce « vivre-ensemble » qu’on invoque à tout propos.
Les attaques contre les enseignants, contre les élus, contre les écoles, les mairies, les centres sociaux, sont tout bonnement intolérables et doivent être sanctionnées en proportion de leur gravité. Toutes questions qu’un discours purement social laisse aux démagogues et aux réactionnaires, pour le plus grand profit de l’extrême-droite.