En attendant l’apocalypse

par Jérôme Clément |  publié le 11/11/2023

On nous l’annonce comme imminente et inéluctable : une catastrophe lente à venir. On nous l’annonce depuis si longtemps. Mais est-ce pour nous alerter ou pour nous habituer ?

Editions Seuil

Il y a longtemps que Patrick Boucheron nous stimule avec ses réflexions historiques très novatrices. Son «Histoire mondiale de la France » nous avait fait comprendre qu’on pouvait raconter l’histoire sans être prisonnier d’un ethnocentrisme excessif -nos ancêtres les gaulois-, mais en croisant différents angles le plus largement possible pour considérer l’histoire de notre pays de différents points de vue, ce qui permet de raconter une autre histoire ou la même, mais autrement. Ce livre très original, écrit à plusieurs mains, a fait école : une douzaine de pays s’en sont inspirés pour faire de même.

Patrick Boucheron s’attaque dans ce petit ouvrage de 60 pages paru au Seuil, au « Temps qui reste ». Bonne question. En ces temps bien troublés, sommes-nous près de l’apocalypse ?

L’auteur se garde bien de répondre à la question, mais observe qu’il est déjà bien tard, et que la plupart du temps les événements que l’on pense advenir sont déjà arrivés depuis longtemps. Ainsi, en est-il notamment du dérèglement climatique que l’on voyait survenir dans un temps long hors de notre portée et qui est déjà là.

Ainsi également du Front National, agité comme une menace et qui s’est installé tranquillement en Italie, laboratoire de l’Europe ? « Puisque nous ne sommes pas encore morts » nous dit-il, il ne suffit pas de se mettre aux abris, mais « d’organiser son pessimisme pour ne pas désespérer du temps qui reste. » Citant Ernst Bloch, il rappelle la nécessité du recours à l’histoire, car « seule est féconde la ressouvenance qui est aussi souvenir de ce qui reste à faire. »
Laissons là cette attirance pour la décadence, et cette fascination de la catastrophe et recommençons à travailler jour après jour, car tout est à refaire. « Il est grand temps encore d’étonner la catastrophe », comme le disait Victor Hugo, afin de ne pas manquer au « Temps qui reste ».

Le temps qui reste – Documents Libelle – 5 octobre 2023- 72 pages

Jérôme Clément

Editorialiste culture