En-bas dans la vallée

par Laurent Perpère |  publié le 24/05/2024

Deux frères, l’un sombre, l’autre solaire, comme les deux versants d’une vallée. Peut-être le meilleur roman de Paolo Cognetti,

D.R

 « La vallée a un côté au soleil et un autre à l’ombre. (…) Il y a les animaux du soleil et ceux de l’ombre: les domestiqués d’un côté, les sauvages de l’autre. Mais les rivières qui descendent de chaque versant finissent toutes dans le même fleuve, et on ne peut alors plus les séparer ni les distinguer ».

C’est un moment de la vie de deux frères, quand l’un parti et l’autre resté se retrouvent pour liquider le maigre héritage de leur père suicidé, la masure solitaire de leur enfance, en haut de la vallée. Entre eux, une femme, des choses tues, des destins divergents. Une même vallée pour les réunir, avec ses deux versants, soleil et ombre.

Le dernier roman de Paolo Cognetti, qui avait fait une irruption remarquée sur la scène littéraire avec le célébré Huit montagnes, poursuit dans ce qu’on ne veut pas nommer un genre, la littérature sur la montagne, mais qui produit néanmoins une écriture et des thèmes singuliers, celle des Ramuz ou Mario Rigoni Stern. Il y a chez tous la même âpreté, la même retenue, la même interrogation sur le rapport difficile entre l’immensité, l’indifférence, l’exigeante beauté des paysages et l’humilité forcée des hommes qui vaille que vaille, tentent d’y bâtir des vies.

Deux frères donc, comme les deux versants de la vallée. Le sombre est aussi le plus solaire, qui a tenté de se libérer de la malédiction du val sauvage en fuyant au Canada, bûcheron au sein d’une plus vaste sauvagerie. L’autre frère a choisi le soleil, s’est apprivoisé avec une femme de la ville qui l’a arraché à son ombre: il est devenu garde-forestier.

On comprend bien que les rivières des deux rives finissent nécessairement par se rejoindre, et que ce n’est la faute de personne si la violence surgit inopinément. On comprend que le chien domestiqué, pour avoir reçu trop de coups, agit comme un loup. Que l’amour éperdu ne suffit pas à sauver de la mort, mais qu’il faut faire comme si, en remontant le fil de la rivière vers les splendeurs d’un sommet qu’on n’atteindra jamais.

Cognetti explique en post-face ce qu’il doit à Bruce Springsteen: on comprend pourquoi. C’est court, c’est écrit dans une prose qui n’a pas besoin d’effets pour émouvoir et dire des choses fortes. Peut-être, à la réflexion, le meilleur roman de Paolo Cognetti, qu’on aime décidément beaucoup.

Paolo Cognetti En-bas dans la vallée. Gallimard, 155 pages.

Laurent Perpère

chronique livre et culture