En marchant dans Chisinau
Pour Sandrine Treiner, son voyage en Moldavie, vingt ans après l’Ukraine, restera le moment fort de son année 2023
Lorsque je suis partie il y a vingt ans à Odessa sous un prétexte que j’ai depuis oublié, la seule évocation de ce nom lointain faisait dresser les sourcils. Qu’allais-je faire en Ukraine ? La guerre a fait entrer ce pays jadis méconnu dans le vocabulaire courant. Désormais, c’est lorsque je me rends à Chisinau, capitale de la Moldavie, que je lis de la surprise dans les regards.
En novembre de cette année, pour une fois, je m’y suis rendue avec deux raisons bien tangibles : une grande conférence consacrée au pogrom de Kichinev en avril 1903 qui donna aux communautés juives de l’Empire russe l’idée qu’il était urgent de prendre leur destin en mains, et la recherche dans les archives nationales moldaves de précisions sur les origines d’Olga Bancic, jeune communiste née dans le quartier juif de la ville, condamnée à mort quelque trente années plus tard à Paris sous l’Occupation allemande et exécutée pour « faits de terrorisme ».
En mai 2024, 80 ans après sa disparition, et déjà en février prochain lorsque Missak et Mélinée Manouchian entreront au Panthéon, on aura l’occasion de parler de ce que la France doit aux étrangers, souvent juifs d’Europe de l’Est, mais aussi arméniens, espagnols, italiens, avec ou sans papiers, venus mourir pour une idée de notre devise nationale.
Est-ce que ce rappel du passé pourrait redonner un peu de bon sens à la politique d’immigration de notre pays et transformer les regards sur les gens nés ailleurs ?
C’est curieux de mesurer combien voyager à l’extrémité orientale de notre continent nous relie simultanément au passé comme à l’avenir. C’est là, dans ces paysages de plaines et de collines agricoles, aux abords des grands fleuves qui s’appellent le Danube, le Dniestr, le Dniepr, non loin de la mythique mer Noire, que se joue l’hypothèse d’une cohérence politique, géopolitique, mais aussi philosophique accordée par la paix et la démocratie, ces grandes notions qui vacillent désormais sous nos yeux sans que nous ne fassions le nécessaire.
La Moldavie œuvre pour intégrer l’Union européenne. Marchant sur les traces d’Olga Bancic le long des rues de Chisinau, essayant d’imaginer ce qui traversait les pensées de cette jeune fille du vingtième siècle sur le point de quitter à tout jamais les siens pour trouver un monde meilleur, je me disais que nous n’étions vraiment pas à la hauteur des espoirs qui l’avaient menée à traverser des milliers de kilomètres. Je pensais, en traversant la ville qui l’avait vu naître, que nous avions encore le choix d’être à la mesure de ses rêves, et des nôtres.