En Turquie comme en Israël, le bourbier illibéral
À l’heure où Donald Trump blesse gravement les États-Unis, l’Europe et le monde, le bilan de ses émules dans le bassin oriental de la Méditerranée met en exergue un point commun aux politiques autocratiques. L’inanité de leur politique antidémocratique bouche l’horizon d’un développement économique et social contrarié par l’instabilité politique et institutionnelle.

Jamais, en vingt-deux ans de pouvoir, Erdogan n’aura été aussi menacé que par la dernière des crises qu’il a provoquées, pourtant nombreuses et risquées pour le pouvoir du Sultan d’Ankara et sa formation islamo-conservatrice, l’AKP – Parti de la Justice et du Développement. L’embastillement du maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, est probablement l’acte répréhensible de trop. Cette fois, le rétablissement à force de corruption de sa base – 20% des Turcs bénéficient du système clanique – et de répression du reste de la population, paraît improbable.
Le constat est en effet sans appel. La livre turque est malmenée sur les marchés de change où elle s’effondre au plus bas depuis plus de deux ans. Les efforts couronnés de succès partiels pour ralentir l’inflation en sont ruinés. L’espoir de profiter en tant que sous-traitant des plans européens de réarmement est hypothéqué alors que l’économie turque est en mal d’investissements extérieurs. L’avantage de la présence dans l’Otan, entre Washington et les capitales européennes, est fragilisé par la crise.
L’affirmation de la Turquie comme puissance régionale dominante est battue en brèche de tout côté. C’est Mohammed Ben Salmane (MBS) qui a empoché la mise en accueillant les négociations sur la guerre en Ukraine. La rue turque ne répond plus qu’aux oppositions démocratiques sur la majeure partie du territoire accroissant le risque que la négociation avec les Kurdes ne soit emportée à son tour au profit d’un élargissement du front de l’opposition. Erdogan évoque lui-même « la terreur de la rue ».
Autre pays en crise, existentielle dans ce cas, Israël fait face – par-delà différences et spécificités – à l’autoritarisme d’un Premier ministre qui tente de se maintenir au pouvoir à la tête d’une coalition d’extrême-droite au mépris des lois et institutions démocratiques de l’État. Poursuivi par la Cour pénale internationale (CPI) pour crime de guerre et crime contre l’humanité à Gaza, poursuivi pour corruption en Israël, sous la menace d’une nouvelle mise en examen dans le cadre du Qatargate – un scandale mettant en cause trois de ses plus proches conseillers – il destitue à tout va, ignorant jusqu’aux décisions de la Cour suprême.
Netanyahu a ainsi successivement limogé Ronen Bar, le Chef du Shin Bet et la Procureure générale de l’État, Gali Baharav-Miar. Un point de non-retour face à une opposition qui n’entend pas laisser saper les bases démocratiques du pays avec à la clé un embryon de « dualité du pouvoir » s’appuyant sur les mobilisations de rue quasi quotidiennes et la perspective d’une grève générale. Le tout sur toile de fond de la crise des otages encore détenus par le Hamas et dont une partie croissante de l’opinion impute la co-responsabilité au Premier ministre. Là encore, l’activité accuse durement le coup.
Ces autocrates pensent pouvoir bénéficier d’une opportunité et de l’impunité, l’exemple venant de Washington. Ce contexte appelle une défense plus exigeante encore de la Démocratie partout où elle est menacée. Les Européens doivent se porter aux avant-postes de ce combat sous les couleurs des libertés, par le verbe et par l’action. La paix, le rétablissement de la croissance et des échanges coopératifs se payent aussi à ce prix.