En vogue : le racisme anti-vieux

par Jean-Paul Mari |  publié le 02/07/2023

Les « cheveux blancs », boomers déclarés séniles et criminels, sont devenus la cible des jeunes politiques radicaux et des ricaneurs professionnels qui ont trouvé là un moyen sale, mais efficace… de les enterrer vivants pour mieux les remplacer

Jean-Paul Mari

La politique est une matière noble et vivante qui se réinvente tous les jours. Rien de mieux qu’un forum de jeunes pour trouver de nouvelles idées. Ici, au meeting des Jeunes de la Nupes à Alfortville, devant un public qui l’applaudit à tout rompre, voici Emma Rafowicz, 27 ans, présidente des Jeunes Socialistes. Elle force sa voix: « Ce n’est pas sérieux de laisser des éléphants responsables de notre chute décider de notre avenir ». La salle exulte, brandit une forêt de drapeaux.

Elle écrira : « Restez dans vos salles sombrent – (sic), là c’est plutôt l’orthographe qui sombre – dans vos chuchotements ». Emportée par son élan, elle affirme, un brin prétentieuse : « Vous nous avez fait perdre, laissez-nous gagner ! » Enfin, une solution simple, jeter les vieux dehors, c’est la victoire assurée !

Le fait n’est pas unique. Mieux, il tend à se répandre. Déjà, après le meeting de la gauche réformiste à Créteil, l’éditorialiste politique de France Inter avait tiré à boulets rouges sur ces politiques seniors, donc forcément des hommes du passé. Argument imparable. Et l’humoriste qui l’a suivi de railler, lui aussi, les cheveux blancs. Désopilant, non ?

Il rejoignait ainsi le camp des ricaneurs parisiens où son collègue de RTL – l’humour n’a pas de frontières – passe une partie de ses matins à tourner en ridicule tous ceux qui dépassent 65 ans. Joe Biden, reconnu comme un bon président, se voit relégué au rang de « Président des EHPAD-Unis d’Amérique ». Et l’humoriste de ricaner à longueur d’antenne sur ces hommes et ces femmes qui vont voter en déambulateur, luttent avec des fuites urinaires et bavent dans leurs couches en attendant la mort qui ne vient pas.

Humour tous azimuts au second degré ? Pas vraiment. Notez, jamais une flèche contre les islamistes. Et pour cause, le fier ricaneur a avoué qu’il y renonçait, vu les menaces reçues par les barbus sur les réseaux sociaux. Il est vrai qu’en s’adonnant au jeu de massacre sur les plus vieux, le risque est faible de voir des septuagénaires lui promettre d’égorger sa femme et ses chats. Alors, servons-nous, c’est open-bar gratuit !

On peut s’en étonner, à une époque soucieuse de combattre – à très juste titre – toutes les discriminations. Injurier un noir, un arabe, un juif ? Un délit, passible de la loi. Moquer un homosexuel, un transgenre ? Délit encore. Inacceptable. Railler un obèse – grossophobie -, un nain, un roux ? Insupportable.
Et les « vieux » ? Ah, là, c’est différent. Allez ! la chasse est ouverte.

Face à un senior, quand on manque d’imagination ou d’arguments, il suffit de tourner les talons en lâchant « Ok, boomer ! » pour mettre fin à la discussion. Pratique, non ?


Ce n’est pas nouveau, mais nous sommes loin des chansonnettes des années 70 : « T’es plus dans le coup, papa ! » Allez ! Qu’ils respirent encore, soit. Mais qu’ils persistent à vouloir penser, militer, aimer – 60 % des 70 ans ont une activité sexuelle régulière… beurk ! – bref, qu’ils persistent à vouloir vivre pleinement ? Non, mais !

Certes, il y a eu Blum, Jaurès, Mendès-France. On les épargne. En se réservant le droit, une fois les vieux morts donc à la seule place autorisée, de les considérer. Bon, si on accuse les boomers d’avoir brûlé la planète, on omettra de retenir les célèbres penseurs de l’écologie, René Dumont, Michel Serres ou Pierre Rabhi, disparus, ou les contemporains Edgar Morin et Jean-Marc Jancovici,… âgés de 61 à 102 ans. Et on évitera aussi de donner l’âge, 72 ans, du leader des jeunes tueurs prompts à pratiquer la cancel culture pour les « vieillards ». Peu importe !

L’objectif est simple : dans la Nupes, chez les jeunes radicaux, la jeune vociférante d’Alfortville, ou tous ceux qui s’adonnent à cette chasse aux vieux sorciers ou sorcières, il y a cette volonté brutale de prendre le pouvoir. Et quoi de plus efficace que l’argument des cheveux blancs pour enterrer, prématurément, ceux qui ne sont pas d’accord.

Oh, les « jeunes » auront forcément raison plus longtemps – l’avantage biologique est clair – même si le temps n’est pas la durée. D’autant que les « cheveux blancs », qui ne sont pas une caste, ne sont pas tous d’accord entre eux. Les « jeunes » non plus d’ailleurs.
Avec le temps, voyez-vous, ils feront de beaux vieux.

Jean-Paul Mari