Encore une minute, monsieur le bourreau…

par Bernard Attali |  publié le 06/06/2023

Standard and Poor n’a pas dégradé la note de la France. Ouf ! On respire. Pas pour longtemps. Parce qu’à l’horizon…

Je ne sais plus qui a dit : « le principal mérite de la science économique c’est de rendre crédible l’astrologie ». Le soulagement un peu lâche, les scénarios fantaisistes qui ont suivi la non-dégradation de la France par l’agence Standard and Poor illustrent le propos. Dans l’immédiat oui bien sûr : le statu quo c’est mieux que la rétrogradation. Qui soutiendra le contraire ?
Mais pourquoi cacher la seule conclusion qui s’impose : ce n’est que partie remise !

Les marchés sont d’ailleurs restés impavides. La différence du taux d’emprunt avec l’Allemagne devrait rester stable. Pour le moment, les investisseurs ne se détournent pas massivement des obligations françaises.
Mais ce n’est qu’un répit provisoire. En économie, la photo ne doit pas cacher le film. Un grand banquier britannique appelait cela : « la tragédie des horizons ».

Les gouvernements peuvent toujours supplier sur l’air de : « encore une minute, monsieur le bourreau. » Cela n’y change rien. Personne de sérieux ne voit la France réussir à plafonner sa dette à 108 % et son déficit à 2,7 % d’ici 2027. Personne ne croit la France capable de maitriser la croissance de ses dépenses autour de 0,6 % en moyenne. Pour une bonne raison : voilà bien longtemps qu’on n’a pas réussi à le faire.

Au passage, le désastre continu de notre commerce extérieur est passé sous silence: – 164 M l’an dernier et un solde négatif de 30 Md au 1er trimestre 2023. Un niveau jamais atteint entre 2000 et 2020.

La règle est simple : tant qu’un pays atteint un taux de croissance supérieur au niveau des taux d’intérêt moyens de sa dette, le niveau d’endettement reste viable. Il y a fort à craindre que cela ne soit plus le cas en France… pour un bon moment.

Ajoutons à cela l’énormité des dépenses qui s’annoncent, aggravées par l’inflation et la hausse des taux. Le cout de la défense ne peut, hélas, qu’augmenter.
Et, en matière énergétique, les chiffres donnent le vertige. Le cout de la transition écologique sera de 67 Md d’€ par an, calculait récemment l’économiste Pisany Ferry. Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir d’écologie indolore.

Notre fragilité est aggravée par la situation de beaucoup d’autres pays européens. Les besoins de financement de nos voisins vont se maintenir à des niveaux supérieurs à ce que la Commission européenne considère comme un maximum (à savoir 16 % du PIB) dans plusieurs pays : l’Italie, l’Espagne, la Belgique, l’Allemagne et l’Autriche.

La plupart vont devoir faire face à des remboursements de dettes massives, beaucoup d’obligations émises dans les années 2010 arrivant à échéance. L’Italie en particulier devra rembourser quasiment 40 % de son PIB au cours des deux prochaines années !

Les marchés sont interconnectés. À terme, c’est tout le système financier européen qui risque à nouveau de s’écrouler. Et nous avec, bien sûr. Jusqu’à présent la BCE a amorti le choc. Elle possède actuellement 20 % de la dette française. Difficile d’imaginer qu’elle puisse aller plus loin.

Nous sommes sur un fil. Il ne tiendra que si la confiance ne s’écroule pas. Or c’est le risque encouru quand on raconte des balivernes à l’opinion. Les propos lénifiants, les chansons douces entendues ces derniers jours sont dangereux : ils font croire qu’il suffit de se laisser porter pour revoir le temps des cerises.

Le mot « austérité » est banni. En outre, il est mensonger d’affirmer qu’il ne sera pas nécessaire d’augmenter la pression fiscale sur les plus hauts revenus ou sur les profits exceptionnels. Le jour où cette vérité éclatera, les gouvernants qui auront raconté des histoires le paieront très cher.

Notre ministre de l’économie s’est dit récemment « garant de la fermeté ». On aimerait aussi qu’il soit garant de la vérité. Il pardonnera mon impertinence, mais en matière économique il faut choisir entre la vérité et le roman.

Bernard Attali

Editorialiste