Entre ici, Manouchian, éternel oublié
Ouvrier, poète et résistant, immigré et patriote, héros de l’Affiche rouge, chef des FTP-Moï, ignoré par le parti communiste, oublié trop longtemps, Missak Manouchian sera – enfin ! – enterré au Panthéon avec son épouse
Missak Manouchian l’avait écrit dans sa lettre à son épouse Mélinée à quelques heures de son exécution au Mont Valérien, « Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la liberté sauront honorer notre mémoire dignement ». Le 21 février 2024, quatre-vingts ans jour pour jour après sa mort, il entrera donc au Panthéon avec son épouse, quittant le cimetière d’Ivry-sur-Seine où leurs corps reposaient, en contrebas du boulevard périphérique, aux côtés des membres de son groupe de résistance : les FTP-MOI.
On ne réduira pas à l’entrée au Panthéon la reconnaissance des actions d’un courage et d’une détermination inouïs perpétrés à Paris contre l’occupant par un groupe restreint de jeunes gens réunis par l’organisation de la FTP-MOI, Francs-tireurs et partisans, composé d’immigrés, une branche armée de la résistance communiste.
L’histoire en a été écrite par Denis Peschanski, Stéphane Courtois et Adam Rayski (« le sang de l’étranger » – Fayard), Louis Aragon en a fait un poème, Léo Ferré une chanson, et Mosco Boucault un film inoubliable (« des terroristes à la retraite »). Néanmoins, le groupe mené par Manouchian- comme sa femme orpheline et rescapée du génocide arménien – sera immortalisé paradoxalement par l’Affiche rouge, une affiche de propagande placardée par l’occupant pour dénoncer les « terroristes ».
Manouchian et ses compagnons ont fait les frais des oppositions politiques entre gaullistes et communistes à la libération, puis ceux de l’ambivalence dénoncée par Mélinée. Elle-même, communiste, a dénoncé l’attitude du parti à l’égard de ces combattants étrangers, en l’accusant, entre d’autres, de les avoir laissé tomber en les maintenant en activité à Paris en 1943, plutôt que de les exfiltrer pour les mettre en sécurité.
Le 16 novembre 1943, quand Missak Manouchian est arrêté, il n’est que l’un des résistants d’une longue série qui se savent suivis par la police française et particulièrement par les inspecteurs des brigades spéciales des renseignements généraux. Le détail des filatures où on lit, jour après jour, l’organisation de la traque montre l’importance accordée à ce groupe de résistance, largement constitué de très jeunes gens, souvent juifs, dont les parents avaient été arrêtés dans les rafles parisiennes et qui avaient décidé de se battre, si nécessaire jusqu’à la mort, contre l’occupation nazie.
Denis Peschanski , qui a été un des inlassables défenseurs de cette reconnaissance, souligne à juste titre que Jean Moulin n’est véritablement entré dans la mémoire française que le 19 décembre 1964 lorsqu’il fut conduit au Panthéon. C’est ce qui se produira très certainement avec Missak Manouchian, qui est donc le neuvième résistant à y entrer, mais le premier étranger mort pour la France.
Il y entre pour son héroïsme, pour le courage de tout son groupe : il y entre aussi pour tous ces juifs, souvent communistes, qui vinrent en France pas seulement pour échapper à l’enfer de l’antisémitisme de leur pays d’origine, mais bien pour une idée qu’il se faisait de ce pays.
Missak Manouchian était ouvrier et poète.
Derrière cet homme, derrière ce couple, aussi discret et anonyme que leur vie, il y aura, invisible à l’œil, mais pas au cœur, une foule de jeunes étrangers, dont l’espoir fut trahi par l’État français, et qui seront, ce 21 février prochain, reconnus par la République et pour l’éternité.