Essence : le spectre des « gilets jaunes »

par Gilles Bridier |  publié le 14/09/2023

Pour les automobilistes, les prix des carburants sont aujourd’hui plus élevés que lors du déclenchement du mouvement contestataire de 2018

France, Paris, 2023-09-13, les prix d une station service prix de l essence, station esso, Photographie par Magali Cohen / Hans Lucas

Comme un relent de gilets jaunes… À l’automne 2018, l’augmentation d’une taxe sur les carburants met le feu aux poudres.  Dépôts de carburants bloqués, ronds-points occupés, le mouvement revendicatif dont la profondeur est, au départ, sous-estimé par le gouvernement d’Edouard Philippe, dégénére en émeutes.

À l’époque, le prix du baril de pétrole fluctue autour de 70 euros. Et, à la pompe début octobre, l’automobiliste payait le litre de gazole 1,54 euro en moyenne et 1,58 euro le litre de sans-plomb E10. En outre, le pouvoir d’achat des consommateurs n’était pas encore miné par l’inflation.

Aujourd’hui, le prix du baril dépasse 90 dollars, et surtout les prix à la pompe atteignent 1,92 euro en moyenne le litre pour le gazole et 1,95 euro pour l’E10… ! Le tout dans un contexte inflationniste qui s’est traduit par une hausse des prix de 5,2 % en 2022 et encore de 5 % cette année selon les prévisions de l’Insee. Le spectre d’une nouvelle explosion sociale a de quoi agiter les pouvoirs publics !

On peut comprendre l’inquiétude. Outre les traumatismes créés par la violence des émeutes tant du côté des manifestants que des forces de l’ordre, outre le manque à gagner de plusieurs milliards d’euros pour les commerçants, restaurants et hôteliers contraints de fermer boutique à cause des manifestations, l’État a tenté d’éteindre l’incendie en déversant 17 milliards d’euros d’aides diverses pour soutenir le pouvoir d’achat. Sans parvenir toutefois à des résultats à la hauteur de ces concessions.

Une solution bricolée

Aujourd’hui, les poches de l’État sont vides. Le gouvernement refuse de prendre à sa charge de nouvelles ristournes à la pompe: à plus de 7 milliards d’euros, tant les précédentes lui ont coûté cher. Pas question non plus d’abaisser la fiscalité sur les carburants, qui lui rapporte plus de 40 milliards d’euros par an. La transition écologique est alors invoquée, non sans démagogie, pour ne pas inciter à la consommation de carburants. Fin du monde contre fin du mois…

Faut-il compter sur une baisse à court ou moyen terme des cours du pétrole? Totalement illusoire: les Saoudiens, en réduisant le débit du robinet pour les faire grimper, ont clairement tourné le dos à l’Occident pour se rapprocher de Pékin et de Moscou, au moins jusqu’à la fin de l’année.

Les problèmes de fins de mois de l’automobiliste français ne sont pas son problème. Même si, pour son approvisionnement, la France est aujourd’hui moins dépendante de l’Arabie saoudite remplacée pour partie par le Kazakhstan, le rôle directeur de Riyad au sein de l’OPEP rend malgré tout Paris tributaire de ses décisions.

Reste TotalEnergies, à qui Bercy n’hésite pas à tordre le bras pour qu’il maintienne le plafonnement du prix du litre à 1,99 euro… sous peine de se voir infliger un impôt exceptionnel pour ses bénéfices faramineux de 19 milliards d’euros en 2022.

Mais face au défi énergétique, cette solution bricolée n’est qu’une rustine ! Le ras-le-bol aux pompes n’est pas loin, qui pourrait faire ressortir les chasubles jaunes du placard.

Gilles Bridier