Et lui, et lui, et nous…

par Bernard Attali |  publié le 27/12/2023

Bernard Attali, éditorialiste, retient le dernier livre de Jacques Dutronc, artiste qui a marqué plusieurs générations. Ses mémoires sont à son image. Et ravivent la nôtre. Avec bonheur.

Crédit Cherche-Midi

Faux dilettante, mais, professionnel acharné, grand loufoque, mais véritable artiste, ainsi se montre Jacques Dutronc dans le livre de souvenirs qu’il vient de publier : « Et moi et moi et moi « .

On le suit de son enfance square  de la Trinité au Golf Drouaut, de salles minables aux scènes les plus célèbres, de ses premières partitions à ses disques d’or et à ses Oscars. Ceux qui l’aiment –  j’en suis- savent qu’il a toujours préféré chanter faux des chansons justes que le contraire. Retenons J’aime les filles, L’hôtesse de l’air, Il est cinq heures, Paris s’éveille, Les Cactus, La fille du père Noël, Fais pas ci, fait pas ça, Et moi, et moi, et moi…

Comme il le dit lui-même, s’il a raté ses études il a réussi ses amis. Et ils furent nombreux et talentueux : Serge Gainsbourg, Patrick  Modiano, Coluche, Johny Halliday, Eddy Mitchell, Alain Resnais, Bernard Blier, Alain Godard, François Truffaut, Maurice Pialat, Claude Chabrol, Andrei Zulavski…

Bien sûr, l’auteur affirme, pour provoquer, que rien ne lui est plus important que la Corse et ses chats….voire.  L’homme se masque. On ne saura rien sur Françoise Hardy, c’est dire combien il l’a aimé. On ne saura pas grand-chose non plus sur son besoin d’alcool. Si ce n’est qu’il a toujours  » préféré un grand chablis à un grand rôle ».

Dutronc a traversé la vie comme un amateur de sieste qui a énormément travaillé, comme un faux cynique mais un vrai tendre, comme  un guitariste amateur devenu un vrai musicien, un comédien de passage qui a reçu l’Oscar du meilleur acteur. Son livre est à cette image : faussement léger. Il fait partie de ces gens très sérieux qui détestent être pris au sérieux, de ces grands sensibles qui se barricadent derrière l’humour pour ne pas pleurer. On suit son parcours avec le sentiment que ce qu’il suggère est plus important que ce qu’il dit.  Mais n’est-ce pas  le propre des grands artistes ?

Et avec cela un vrai bonheur d’écriture. De Claude Sautet, il dit : « il savait filmer mieux que personne l’odeur du tabac froid dans une voiture « . Qui rendrait plus vraie la musique intime des choses de la vie ?
L’âge est venu. Mais Jacques Dutronc reste un jeune homme . Et nous aussi, grâce à lui.

À lire : Et moi, et moi, et moi, de Jacques Dutronc. Éditions du Cherche-Midi

Bernard Attali

Editorialiste