Et si le Hamas faisait perdre l’Iran ?

publié le 20/01/2024

En bousculant les équilibres de la région, les terroristes du Hamas ont déclenché un mécanisme qui se retourne contre leurs protecteurs de Téhéran. Par François Hollande

Le président français François Hollande au palais de l'Élysée à Paris, le 11 mai 2017. -Photo JOEL SAGET / AFP

Les horreurs commises par le Hamas le 7 octobre ont bouleversé la carte du Moyen-Orient. L’État d’Israël pensait avoir étouffé la question palestinienne en normalisant peu à peu ses relations avec les pays arabes. Il est entré dans une guerre dont il ne fixe pas le terme ; il découvre surtout que la paix, qui viendra nécessairement après tant de destructions, l’obligera à reconnaître un État palestinien dont l’avènement est jugé inéluctable par son allié le plus proche, les États-Unis.

L’Arabie Saoudite, qui mélange savamment ouverture et despotisme, pensait se consacrer à son développement intérieur et à son rayonnement extérieur, quitte à reparler avec ses adversaires d’hier, en l’occurrence l’Iran et la Turquie. Elle se rend compte que son statut nouveau la conduira à prendre ses responsabilités dans la reconstruction et la sécurité de Gaza. L’Égypte et la Jordanie, les premiers à avoir reconnu l’État d’Israël, craignant de voir leur stabilité ébranlée par la guerre, sont menacées par la rue arabe si les bombardements sur Gaza se prolongent.

Quant aux pays du Golfe, devenus des places financières et des centres touristiques pour préparer l’après-pétrole, ils comprennent la fragilité de leur situation si le Moyen-Orient s’enflamme et si le terrorisme se répand. Bref, tous mesurent que rien ne sera plus comme avant, et constatent que le temps de l’indifférence à l’égard de la Palestine et de l’ambiguïté à l’égard d’Israël est révolu. Celui de leur engagement et de leur intervention est advenu.

Paradoxalement,  c’est en Iran que le choc est le plus rude. Nul ne saura jamais si le Hamas a prévenu son protecteur de l’abominable opération du 7 octobre. Mais quand bien même en aurait-il été informé et l’aurait appuyée, rien ne s’est passé comme prévu. La réaction israélienne a été bien plus massive qu’anticipée ; la solidarité des pays arabes n’a pas engendré de rupture avec l’Occident ; le soulèvement islamiste n’a pas eu lieu ; les masses ont défilé, mais les régions sunnites ont tenu.

Redoutant les éventuelles ripostes américaines et israéliennes en cas d’entrée en belligérance, Téhéran a préféré utiliser ses alliés de la « résistance islamique » pour porter des coups à Israël et aux Occidentaux. Le problème pour les mollahs, c’est que ses « proxys » n’ont guère fait preuve d’efficacité, ni même d’habileté. Le Hezbollah a davantage parlé qu’il n’a agi et quand il a lancé des roquettes au nord d’Israël, il l’a payé au prix fort : plusieurs de ses chefs militaires ont été éliminés, en même temps que des dirigeants du Hamas qu’il abritait au Liban.

Aussi Téhéran en a subi cruellement le contrecoup avec des attentats sur son propre sol, notamment l’un particulièrement meurtrier, qu’il a attribué à Israël et aux États-Unis, alors qu’il a été perpétré par l’État islamique. L’Iran a même été jusqu’à agresser le Pakistan, au prétexte qu’il abriterait des groupes hostiles, provoquant une réplique de la part de son voisin. Certes les Houthis tentent de bloquer le détroit de Bab el-Mandeb, en ciblant les navires supposés liés à Israël, mais là aussi, les États-Unis et le Royaume-Uni n’ont pas hésité à frapper durement ce groupe et n’entendent pas cesser de le faire si d’aventure les Houthis continuaient à menacer la liberté de navigation dans ce détroit stratégique.

Ainsi, trois mois après le 7 octobre, l’Iran, qui imaginait tirer parti des attentats du Hamas, en sort affaibli et isolé. Nous pourrions nous en réjouir, car c’est un des rares espoirs de voir la paix revenir dans la région. Mais il convient toujours de se méfier des empires quand ils sont contrariés et leurs dirigeants blessés. Cette soudaine prise de conscience de sa fragilité pourrait au contraire encourager l’Iran à accélérer son programme nucléaire pour accéder au seuil nécessaire à la dissuasion que l’arme peut offrir à celui qui en dispose.

Ce serait alors le pire des scénarios, car il accroîtrait le risque d’un embrasement dans la région et peut-être dans le monde. Aussi, c’est en ce moment que la pression sur l’Iran doit s’exercer, pour le conduire à reprendre les discussions sur le nucléaire et pour l’inclure dans un processus de réorganisation de l’ensemble de la région. Et s’il s’y refuse, de continuer à lui infliger des pertes ainsi qu’à ses alliés.