États-Unis : la révolution obscurantiste

par Boris Enet |  publié le 14/03/2025

Les premières mesures de l’administration Trump sont une offensive concertée contre le savoir, la création et la raison.

Rassemblement de scientifiques français du mouvement Stand Up For Science en solidarité avec les scientifiques américains confrontés aux mesures de démantèlement du gouvernement de Donald Trump à Toulouse, le 7 mars 2025. (Photo de Pat Batard / Hans Lucas via AFP)

Ce n’est certes pas Baldur von Schirach, chef des Jeunesses hitlériennes : « quand j’entends le mot culture, je sors mon revolver ». Ce n’est pas la mise à l’index généralisée en vigueur dans l’Espagne franquiste. Mais, à coup sûr, une révolution obscurantiste a commencé aux États-Unis.

Il y a moins de deux semaines, le site Sauvons l’Europe, proposait que l’UE devienne terre d’asile pour les scientifiques et les chercheurs américains. Depuis que les nationalistes américains les ont pris pour cible, accélérant l’offensive déjà lancée dans plusieurs États Maga, ils sont de plus en plus nombreux à songer à l’exil. Alain Puisieux, président du directoire de l’Institut Curie, confirme que les demandes affluent de la part de chercheurs étrangers en poste aux États-Unis mais également de scientifiques américains, inquiets ou dépités.

L’offensive trumpiste a commencé par la signature du décret présidentiel Pentagon Schools, qui a pour but d’expurger les bibliothèques des écoles gérées par le ministère de la Défense des ouvrages traitant du genre, de l’homosexualité ou du racisme. L’American Library Association, qui déplore cette mise à l’index, note que les mesures d’intimidation vont bien au-delà, pour toucher de nombreuses librairies à travers le pays, menacées par des groupes blancs conservateurs de l’Amérique profonde.

En réalité, Trump donne une dimension officielle et fédérale à la croisade obscurantiste lancée dès 2021 dans plusieurs États républicains particulièrement rétrogrades, dans la foulée de la lutte contre les masques et les vaccins anti-covid. Ces groupes nés au moment de l’épidémie pour contester la politique sanitaire se sont aussi mobilisés contre le mouvement Black Lives Matter, puis ont poursuivi le combat en s’en prenant aux écoles et bibliothèques. Sus aux livres et sus au langage ! C’est ainsi qu’au sein de l’administration sont bannis les mots « noir », « genre », « pollution », « accessible », « égalité ».

Ce climat de censure n’épargne ni les milieux artistiques ni la création. À Washington, l’Art Museum of The Americas a ainsi déprogrammé deux expositions sur simple pression politique. Si l’on y ajoute les coupes claires et les annonces de licenciements du jour au lendemain dans les agences fédérales, notamment dans le domaine de l’environnement ou de la lutte contre le réchauffement climatique, on comprend qu’il ne s’agit pas d’une parenthèse mais d’une ère nouvelle, aux accents moyenâgeux.

Nous autres savons ce que signifie toucher aux livres, et ce qu’il en coûte. C’est la raison pour laquelle il faut tout faire pour soutenir nos amis américains. Certains s’organisent dans Unite Against Book Bans (S’unir contre la censure des livres), d’autres résistent à travers Stand Up for Science mais la caisse de résonnance doit être internationale.

D’autant que le phénomène commence à toucher la France. En réaction au programme d’éducation à la vie affective et à la sexualité (EVARS), promu par le ministère de l’Éducation nationale, les mêmes courants s’organisent ici avec les mêmes méthodes, les mêmes invectives diffamatoires, au nom du même intégrisme et de la détestation du progrès. Il faut désormais affronter ce blitzkrieg idéologique, relayée par les canaux de l’extrême-droite, au premier rang desquels la télévision Bolloré. Rappelons la phrase d’Orwell dans 1984 : « À une époque de supercherie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire ».

Boris Enet