Europe : le défi nationaliste
Partout sur le continent, l’extrême-droite marque des points. Une réalité continentale qui menace maintenant l’avenir politique de l’Union européenne
La marée monte. Parfois elle s’arrête, semble faire une pause ; mais jamais elle ne diminue. Dans la Pologne dominée par le PIS (Parti Droit et Justice), nationaliste, à la faveur de la guerre d’Ukraine, le gouvernement vient de mettre sur pieds une commission chargée de préparer une législation « antirusse » qui lui permettra surtout de limiter la liberté d’expression et de réprimer ses opposants, notamment le pro-européen Donald Tusk.
En Espagne, le week-end dernier, la droite a remporté nettement les élections locales et s’apprête à diriger villes et régions avec le parti d’extrême-droite Vox. En Finlande, les conservateurs, récemment vainqueurs des législatives, agissent avec le soutien du parti des Nouveaux Finlandais, lui aussi d’extrême-droite.
Même chose en Suède après la victoire de la droite sur les sociaux-démocrates. En Italie, quoique de style raisonnable et pro-européen, Giorgia Meloni, présidente du Conseil nationaliste, héritière du fascisme, avance inexorablement ses pions. En Hongrie, Viktor Orban est solidement arrimé au pouvoir après avoir façonné un régime « illibéral » qui influe sur la justice et la presse.
Restent bien sûr de grandes exceptions, l’Allemagne ou le Portugal, gouvernés par des sociaux-démocrates ou des socialistes et où l’extrême-droite reste faible, la Grande-Bretagne où l’extrême-droite est marginale (ou bien englobée dans la Parti conservateur) et où les travaillistes ont une grande chance de gagner les prochaines élections. Mais un peu partout sur le continent, le nationalisme est désormais installé dans le paysage politique, qu’il soit parvenu au pouvoir ou qu’il se contente de peser sur les décisions.
Retour des années trente ? Non. Ces partis sont légalistes, issus d’élections libres, récusant la violence de l’ancien fascisme et ses tropismes guerriers et expansionnistes. Ils prônent, non l’agression extérieure, mais au contraire la fermeture défensive de leur pays sur des bases conservatrices et bientôt autoritaires. Ils sont avant tout anti-immigration, méfiants envers l’Union européenne, rétrogrades sur le plan des mœurs et ambigus dans le domaine social.
C’est une vague à la fois dangereuse et pacifique qui monte à l’assaut des valeurs progressistes ou libérales de l’Europe, portée par le rejet de la mondialisation, la défense étroite de l’identité nationale, la crainte de la décadence, le repli sur la tradition et l’espace national dans un monde jugé incompréhensible et menaçant, dont il faut à tout prix se protéger. Et partout ces partis recueillent leurs meilleurs scores parmi les classes populaires historiquement gagnées à la gauche…
Et la France ? Le Rassemblement national ne cesse d’y gagner des points, plaçant maintenant la droite classique sous sa domination idéologique. Ce bloc réactionnaire vient de s’unir intellectuellement en prévoyant, dans un premier temps, de s’affranchir des conventions européennes qui protègent les droits humains, notamment ceux des migrants. Une sorte de « Frexit » juridique » qui augure mal de l’avenir des libertés publiques.
Tel est le paysage où évoluent désormais les démocrates de France et d’ailleurs. Quelle que soit leur stratégie, elle est désormais gouvernée par cette menace continentale, qui les oblige à bâtir un programme alternatif crédible susceptible de convaincre les classes populaires.