Européennes : la gauche maso
Deux meetings réussis hier dimanche pour le camp progressiste. Mais pourquoi diable attaquer ainsi en ordre dispersé, à la grande satisfaction de Macron et de Mélenchon ?
Salle pleine pour Raphaël Glucksmann à Lyon, salle pleine pour Bernard Cazeneuve à Paris. Tant mieux pour les deux orateurs. Tant mieux pour la gauche responsable, qui peut créer l’événement dans le scrutin européen et rééquilibrer un camp progressiste déstabilisé par les coups de boutoir populistes de Jean-Luc Mélenchon.
Mais aussitôt l’absurdité de la situation apparait en pleine lumière, créée à son détriment par une gauche décidément masochiste. À Lyon, Glucksmann défend avec talent un projet européen démocratique, écologique et social ; à Paris, Cazeneuve plaide avec feu pour un projet… européen, démocratique, écologique et social. Le second, auteur d’un discours d’homme d’État et d’homme de conviction, donne peut-être un tour plus républicain à son propos, mais la nuance est mince : le premier est un défenseur acharné des droits humains, dont la philosophie universaliste est rigoureusement la même.
On attend la réponse du PS
Leur alliance permettrait de rassembler les électeurs réformistes, de reprendre des voix au macronisme et de rebattre les cartes à gauche. Dès lors, un esprit candide se dit : pourquoi ne font-ils pas campagne ensemble, comme ils l’avaient fait tous deux à Lyon pour la campagne européenne précédente ? Pour Cazeneuve, la réponse est claire : il appelle « une nouvelle fois Olivier Faure à lever les obstacles à l’unité ». Ainsi le PS, principal parti de ce courant réformiste, est accusé de refuser la réunion dans le même effort de ceux qui pensent la même chose. On attend la réponse… Il semble bien qu’elle tarde à venir, puisque Guillaume Lacroix, leader des Radicaux de gauche, présent aux côtés de Cazeneuve, se prépare, faute d’un accord avec les socialistes, à lancer sa propre liste. Émiettement supplémentaire, au demeurant inutile puisque le courant réformiste est déjà en miettes.
Beaucoup en sont à se demander si la direction du PS, toujours tentée par la résurrection d’une NUPES brisée par LFI, souhaite vraiment la réussite de Glucksmann. Il est vrai qu’un score nettement supérieur à 10 % pour le député européen ouvrirait la voie à une gauche débarrassée de la tunique de Nessus insoumise et obligerait Olivier Faure à se rallier à une stratégie nouvelle. Ce que Jean-Luc Mélenchon craint par-dessus tout, comme en témoigne l’agressivité qu’il déploie à l’égard du candidat choisi par le PS : « J’aurais honte d’avoir la moindre influence sur ce personnage », a-t-il lancé, ce qui n’est pas le signe d’une franche camaraderie unitaire. Mélenchon veut l’unité, mais dans un sens militaire. Il ne veut voir à gauche qu’une seule tête : la sienne.
Sa stratégie rejoint ainsi celle d’Emmanuel Macron. En difficulté, le président recourt à sa recette de base, qui consiste à se présenter comme la seule alternative possible à la montée des extrêmes. Sa candidate Valérie Hayer l’a dit sans ambages lors de son entrée en campagne : elle veut rallier les électeurs raisonnables, campée sur une position centrale, entre le Rassemblement national anti-européen et un Glucksmann qu’elle juge, au mépris de la plus élémentaire vérité, placé sous la coupe de la France Insoumise. Toujours la même chanson : Macron ou le chaos. Au risque de voir un jour les électeurs, lassés par deux quinquennats décevants, préférer le chaos en question à une éternité macronoïde.