Européennes : le thème oublié
Toute gauche sociale-démocrate devrait promouvoir ce mouvement : l’économie sociale et solidaire. Par Hugues Sibille (*)
Il est un sujet de campagne dont on parle peu, alors qu’il participe de l’histoire européenne et constitue une voie originale vers une transition juste, conciliant impératif écologique et justice sociale. Les candidats français se référant à la social-démocratie et à l’écologie devraient en faire un enjeu et ce d’autant que la voix française est attendue. Je parle de l’économie sociale et solidaire. La France a été l’une de premières à promouvoir ce concept d’ESS avec Michel Rocard et à l’inscrire dans une loi-cadre, dite loi Hamon, en 2014. Jacques Delors, président français de la Commission pendant dix ans, avait significativement promu cette économie sociale, ou tiers secteur.
L’Économie sociale et solidaire, avec des formes et des traditions diverses selon les états membres de l’UE, fait partie d’un fonds commun de culture démocratique et solidariste européenne et entretient des liens étroits avec le monde syndical. Elle représente un poids économique et social non négligeable en Europe : 2,8 millions d’entreprises ou organisations, 13,6 millions d’emplois, 82 millions de bénévoles, 230 millions de membres de coopératives, mutuelles ou organisations équivalentes.
L’ESS a une capacité d’apporter des réponses aux enjeux de transition écologique et de justice sociale, regroupés sous le terme de transition juste, pour plusieurs raisons :
Parce qu’elle ne repose pas sur le capital mais sur les personnes. Sa finalité n’est pas le profit. Dans la dernière enquête 2024 sur la protection en France (Aema/Ifop) présentée le 12 avril au CESE il apparaît clairement que les assurés font nettement plus confiance aux mutuelles (+ 11 points par rapport à 2023) qu’aux compagnies privées pour les protéger. On n’apportera pas de réponse profonde aux crises et menaces sans changer le paradigme économique du profit. Sur ce plan la gauche doit sortir d’une logique de la seule régulation par l’État. L’ESS est une régulation citoyenne.
Parce que partout en Europe l’ESS est très impliquées dans les formes d’innovation et de coopération territoriales où s’invente le monde nouveau : mobilités partagées, alimentation durable, tiers lieux, transition énergétique citoyenne, etc. Un rapport de la commission européenne sur les clusters d’innovation sociale et écologique en Europe l’a démontré.
Parce que l’ESS repose sur l’engagement de ses membres et des formes de gouvernance démocratique et participative qui répondent à certains des enjeux de la crise du modèle démocratique européen. Voter aux élections n’est plus suffisant pour faire vivre et renouveler la démocratie. Les organisations de l’ESS constituent des laboratoires d’une démocratie à réinventer. Le modèle français innovant des coopératives d’intérêt collectif (SCIC) associant toutes les parties prenantes de l’entreprise (y compris la collectivité locale dans certains cas) intéresse l’Europe.
Dans la dernière période, la Commission européenne, sous l’impulsion marquante du commissaire Schmit, a beaucoup fait pour l’ESS. Un plan d’action européen a été adopté en 2021 reposant sur une définition européenne commune de l’ESS. L’ESS, sous l’intitulé « Économie sociale, économie de proximité » fait partie des 14 écosystèmes industriels retenus par le commissaire au Marché Intérieur, Thierry Breton. Un chemin de transition (« transition pathway ») a été établi pour cette ESS. Un projet de directive sur les associations transfrontières européennes (ATE) a été récemment adopté par le parlement européen (au sein duquel existe un intergroupe ESS actif) mettant en avant la non-lucrativité.
Nicolas Schmit, tête de liste socialiste aux européennes, est porteur d’un projet européen pour l’ESS et l’a amplement démontré comme Commissaire Européen. L’ESS peut constituer un terrain commun entre socialistes et écologistes comme le démontrent de très nombreuses collectivités locales françaises.
Alors ? Il serait temps d’en faire un sujet politique de cette campagne européenne. Un rassemblement européen à Paris, consacré à l’ESS, et conclu par l’excellent Nicolas Schmit aurait de l’allure.
Hugues Sibille est président du Labo de l’ESS, ancien délégué interministériel