Évasion fiscale : ces milliards qu’on oublie

par Gilles Bridier |  publié le 01/12/2024

Les recettes à récupérer de l’évasion fiscale sont énormes, mais la droite n’y consent qu’à reculons. Donnant du grain à moudre aux populistes.

Action du collectif Attac France contre l'évasion fiscale. Des militants ont dispersé des faux billets de 80 milliards dans une banque BNB Paribas.(Photo by Anna Margueritat / Hans Lucas via AFP)

Quelque 60 milliards d’euros : c’est le montant des économies que cherche à réaliser le gouvernement pour le budget 2025. Environ 80 milliards, c’est au bas mot le montant de l’évasion fiscale, soustraits chaque année aux caisses de l’Etat par des contribuables qui, sans frauder, jouent des failles de la loi. Le gisement de recettes est énorme, bien plus que les économies sur lesquelles les députés se sont écharpés, qu’il s’agisse des retraites, des taxes sur l’électricité ou des remboursements de médicaments.

On pourrait penser qu’une unanimité se dégagerait pour lutter contre un phénomène qui est un véritable fléau pour la démocratie. Mais les oppositions parlementaires préfèrent l’invective à l’efficacité, et la lutte contre l’évasion fiscale n’a pas fait recette dans les débats. Bien sûr, il serait illusoire d’espérer recouvrer la totalité de cette masse imposable. Mais les sommes subtilisées sont tellement énormes que, avec plus de moyens pour endiguer le phénomène et de volonté politique pour y parvenir, les gains seraient de toute façon déterminants.

Des amendements pour rien

Des progrès ont été réalisés, notamment sur la fraude fiscale, distincte de l’évasion. En 2022, les mises en recouvrement pour fraude par les services de Bercy ont atteint 14,6 milliards d’euros. En 2023, elles se sont montées à 15,2 milliards. Mais des zones grises demeurent sur lesquelles les députés se sont penchés début novembre. Dans leurs travaux en commission, ils ont même adopté quelque 200 amendements devant déboucher sur 30 milliards d’euros de recettes complémentaires ! En vain, car pour plus des deux tiers, elles se révélaient anticonstitutionnelles ou contraires au droit européen.

Malgré tout, il resterait quelque 7 milliards d’euros à tenter de récupérer. Le Nouveau front populaire (NFP) et le Rassemblement national (RN) ont même voté de conserve pour un amendement taxant les multinationales à hauteur des bénéfices réalisés en France, avant leurs délocalisations dans les paradis fiscaux. Ces adversaires politiques se sont aussi retrouvés pour obliger les groupes français à rapatrier les bénéfices de leurs filiales implantées dans des pays de l’Unions européenne.

Peine perdue : le projet de loi de finances 2025 a été rejeté par l’Assemblée nationale. C’est la version initiale qui a été transmise au Sénat, sans les amendements adoptés en commission. Et comme les groupes politiques réputés soutenir le gouvernement étaient contre ces amendements et qu’ils sont majoritaires au Sénat, le Trésor public risque de devoir encore faire son deuil de ces milliards.

Un poison pour la démocratie

L’évasion fiscale est un sujet capital pour solidarité nationale. En privant l’Etat de ressources destinées à alimenter les services publics et à lui permettre de jouer son rôle d’Etat-providence, les pratiques d’évasion minent les fondements de la démocratie. Elles contribuent à la progression des inégalités et font ainsi le lit des populismes, en France comme ailleurs. L’expérience le prouve.

En dehors de ce qui participe d’une fraude caractérisée, l’optimisation fiscale recourt à des régimes dérogatoires ou des dispositifs de crédits d’impôt ou d’expatriation mis en place par le législateur. Elle résulte donc de choix politiques. Les zone grises qui permettent à des opérateurs financiers de construire des montages aux marges de la légalité, sont bien identifiées. Il suffirait que le législateur restreigne le champ des dérogations pour réduire les montants soustraits à l’impôt.

Mais tant pour des raisons de concurrence fiscale que de clientélisme électoral ou de dogmatisme libéral, les choix politiques se font au détriment de l’équité. C’est pourquoi, dans un contexte de recul des services publics mais de maintien de l’évasion fiscale, le consentement à l’impôt de la population régresse.

Gilles Bridier