Évoquer Doriot : ce n’est pas un crime

publié le 30/09/2023

Les noms d’oiseaux sont courants en politique. Le vrai problème, c’est que la comparaison avec Doriot ne vaut pas pour Roussel mais plus pour un autre leader fort en gueule. Suivez mon regard… Par Jean-François Kahn

Jean-François Kahn - Photo REMY GABALDA / AFP

Des groupies mélenchonistes n’ont pas hésité à comparer le communiste Fabien Roussel à Jacques Doriot. Effusion d’indignations. Comment ose-t-on ? On peut comparer n’importe qui à Pol Pot ; qualifier la moindre critique d’un chapeau à plumes de procès stalinien ; accuser Bernard Cazeneuve d’avoir les mains couvertes de sang : mais pas ça ! Infamie !

Infamie… ou bien erreur de destination ?

Qu’évoque le nom de Jacques Doriot à l’oreille de ceux qui, aujourd’hui, croient que Mendès France évoque une hypothétique finale de coupe de football ?

Doriot était, à la fin des années 20, l’orateur vedette du Parti Communiste français, sa Mathilde Panot en quelque sorte. Mais avec du talent à revendre. Lui. Et d’ailleurs, il l’a vendu.

Le Parti Communiste français, parti de la radicalité à l’époque, s’investissait avec une passion rageuse dans une stratégie d’ultra-gauche dite « classe contre classe ». Aucun compromis possible. Le bruit et la fureur. Radicalité sans frontières. La social-démocratie qualifiée de « social-fascisme ». Léon Blum dénoncé comme un fourrier de la réaction. Légitimation de toutes les violences dès lors qu’elles invoquent la moindre finalité sociale. Incitation à « se faire du flic ». Banalisation de l’insulte, normalisation de l’outrance, stigmatisation systématique de l’adversaire. Populisme incandescent. Le débat conçu comme une furibonde castagne.

Résultat : le Parti Communiste, dont Doriot était l’éloquent porte-parole, né en chevauchant une vague d’espérance, ne cessait de se rétrécir, de s’isoler, de se décrépir. Cela ne vous évoque rien ?

C’est Maurice Thorez qui, au début des années 30, le sortit de cette impasse. Que devinrent alors ces dirigeants mis de côté ?

Le principal, Henri Barbé, passa au fascisme. Le second, Pierre Célor, passa au fascisme. Le responsable de l’organisation, Paul Marion, passa au fascisme et le tribun vedette Jacques Doriot passa au fascisme, entraînant derrière lui des milliers de militants de Saint-Denis.

Retournement de veste ? Longtemps Doriot le nia : il avait toujours été hostile à la démocratie formelle, à la démocratie tout court, à l’humanisme bourgeois, à la social-démocratie, au grand capital juif.

Et, surtout, sa verve oratoire, physique, tripale, brutale, sans nuance, meurtrière, ne reculant devant aucune diabolisation, devant aucune criminalisation même de l’adversaire, fût-il un ancien allié, sa rhétorique guerrière destructrice n’avait nullement changé. Elle restait la même.

La droite, qui l’avait un temps redoutée, cette rhétorique, finit même, en intégrant Doriot à ses propres coalitions (l’une d’elles s’appelait « Front de la liberté »), par se l’approprier.

Surtout, au nom de qui, obsessionnellement, parlait Doriot : au nom du peuple. Il était le peuple. Il parlait comme le peuple. Et comment intitula-t-il le parti qu’il créa après son transfuge ? Le « Parti populaire français ».

Non, ce n’est pas en soi un crime que d’évoquer le précédent Doriot. Encore convient-il de ne pas se tromper de destinataire. Suivez mon regard…