Exploit: « El Loco » flingue l’Argentine en 100 jours

par Emmanuel Tugny |  publié le 29/03/2024

Largement élu en décembre dernier à la tête de l’Argentine, l’ultra-libéral populiste Javier Milei avait promis de redresser le pays en tronçonnant l’État….

Le président argentin Javier Milei lors commémoration du 32e anniversaire de l'attentat à la bombe contre l'ambassade d'Israël à Buenos Aires- 18 mars 2024- Photo Juan Mabromata / AFP.

Comment prendre au sérieux cet extravagant successeur libertarien de Trump ou de Bolsonaro, ce complotiste pour qui une sorte de « protocole des sages marxistes » vise la destruction du « modèle » occidental, celui qui affirme réincarner Moïse et prend conseil auprès de son chien Conan, mort en 2017, qu’il a fait cloner en six exemplaires ?

On pouvait s’attendre à voir l’Argentine payer une fois encore au prix fort ce goût du pas de deux avec le populisme qui lui a fait endurer les Perón ou Menem. L’on n’a pas été déçu.

Le pitre ultralibéral s’est vendu à son peuple (en particulier jeunesse et classes moyennes martyres de la crise) séduit par ses foucades qui lui semblaient rafraîchir une atmosphère plombée par une dette colossale et une inflation de près de 150 % en 2023, un taux de pauvreté de quelque 40 %. Or ce peuple voit les fumées de la scène électorale se dissiper devant la réalité d’une noire incompétence.

Fin de l’État social, dollarisation, découpe » – selon ses termes- « à la tronçonneuse  de la banque centrale, soutien massif au commerce interne de l’armement pour l’auto-défense citoyenne, légalisation de la vente d’organes en soutien du pouvoir d’achat des plus pauvres, interdiction de l’avortement, retour sur les droits des minorités sexuelles, révisionnisme pro-dictature, guerre aux médias « marxistes » : le programme annoncé relevait de la dystopie, il a tenu ses promesses.

Le vote par le sénat du train de mesures dit « DNU », qui vise à l’abrogation de 300 normes sociales, a cruellement rappelé au bateleur que l’Argentine, pour goûter les « hommes forts », n’en demeure pas moins une république parlementaire dont les chambres (ces « nids à rats » -sic-), peuvent s’opposer à son caprice, surtout quand le parti présidentiel (le Parti libertarien) n’y constitue que la troisième force politique.

La politique de déficit zéro menée par Milei alors que son pays était en vacances a en effet restauré l’équilibre budgétaire, mais à quel prix : 40 % des dépenses publiques se sont vu supprimer en quelques semaines. Subventions à l’énergie (-77 %), aides sociales (-23 %), emploi public (-27 %), retraites (-38 %) : c’est tout le modèle social argentin qui est parti en fumée tandis que la planche à billets continue à tourner (dévaluation du peso de 51 %) pour monétariser la dette et lui donner un air avenant.

Ce remède de cheval a eu pour conséquence une montée en flèche de l’inflation (de 150 % à 254 %), une réduction drastique du pouvoir d’achat des ménages et une aggravation considérable du taux de pauvreté (de 49 % à 54 % pour le seul mois de janvier), la chute brutale des ventes dans les secteurs de l’automobile (-33 %), du bâtiment (–29 %), de la vente au détail (-27 %).

Quant à l’industrie agricole, que Milei veut affranchir de ses entraves fiscales, elle ne pourra lui être d’un grand secours statistique que si la sécheresse cesse de frapper le pays. Déficit zéro ? Soit : mais, le prix payé par l’Argentine est cruel et, loin d’avoir relevé le pays, Milei semble l’enfoncer dans une récession qui devrait atteindre -3,5 % du PIB en 2024. La farce est tragique.

Emmanuel Tugny

Journaliste étranger et diplomatie