La grande fête brune de Madrid

par Valérie Lecasble |  publié le 24/05/2024

En congrès à Madrid, les nationalistes, malgré  des tactiques différentes et des personnalités disparates, concourent au même but: construire une Europe fermée, identitaire et autoritaire. Galerie de portraits.

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Santiago Abascal : l’inspirateur de la fête brune

Photo Celal Gunes

Pour relancer sa campagne électorale européenne où son parti plafonne dans les sondages à 10% et seulement 6 députés, le leader de Vox a avancé son Congrès du mois d’octobre à mai et l’a rebaptisé « Europa Viva 24 ». Une démonstration de force pour fêter l’extrême-droite en Europe. « La liberté face à la cancel culture », « la gauche criminelle », « le tourisme judéo-chrétien » et « l’alternative conservatrice à l’immigration illégale » : le ton a été donné par Santiago Abascal pour trois jours de débats. Il s’agit de combattre le « totalitarisme woke », le « globalisme socialiste » et le « suprémacisme féministe ».

En recul aux dernières élections législatives, la réélection du leader de Vox pour un quatrième mandat est controversée, mais le parti demeure puissant dans certaines régions où il a organisé des manifestations de masse contre l’amnistie des séparatistes catalans.

Marine Le Pen : la Française qui a besoin de l’Europe

Photo A. Savorani Neri

La candidate à la présidentielle est à la recherche d’alliés au Parlement européen. Ayant rompu avec l’AFD allemande qui a sombré dans l’outrance pronazi, elle est isolée. À quoi bon gagner en France, si le RN ne peut pas peser en Europe ? Depuis plusieurs mois, Marine Le Pen souhaite se rapprocher de Giorgia Meloni qu’elle combattait jusque-là. C’est que la Première ministre italienne est devenue l’incontournable pivot de l’extrême-droite européenne depuis qu’elle préside les Conservateurs et Réformistes Européens (CRE).

Marine Le Pen passera-t-elle sous ses fourches caudines alors que la CRE l’a récemment narguée en intégrant sa rivale Marion Maréchal (Reconquête), épouse de l’eurodéputé Vincenzo Sofo, un proche de Meloni ? Compliqué, mais pas impossible. Pour fusionner les groupes et assurer la puissance de l’extrême-droite au Parlement européen, la fin justifie les moyens.

Giorgia Meloni: l’extrémiste « normalisée »

Photo par Tiziana Fabi

Non contente de diriger son pays, la Première ministre italienne se rêve désormais leader de l’Europe. Contre l’immigration clandestine et pour la défense des valeurs traditionnelles, elle a pris elle-même la tête de liste de son parti Fratelli d’Italia à 27 % dans les sondages pour les élections européennes. « Nous voulons faire en Europe exactement ce que nous avons fait en Italie : créer une majorité qui unisse les forces de droite pour renvoyer la gauche dans l’opposition ».

Favorite dans son pays et forte de la Présidence de la CRE, le parti des Conservateurs qui la place au cœur de l’extrême-droite, Giorgia Meloni a su se faire accepter en Europe grâce à la normalisation de son discours, en faveur de l’Ukraine notamment. Elle tire les ficelles de la constitution d’une union des partis de droite en Europe qu’elle appelle de ses vœux.

Viktor Orban : l’admirateur de Poutine

Photo Mustafa Yalcin

Membre d’aucun groupe politique au Parlement européen, le Premier ministre hongrois avec son parti Fidesz, entretient néanmoins de bonnes relations avec le parti des Conservateurs (CRE) qu’il pourrait avoir le souhait de rejoindre après le 9 juin. Viktor Orban fait cependant figure de trouble-fête dans la volonté de normalisation de l’extrême-droite. Lui seul a tenté de bloquer successivement les 50 milliards d’euros d’aide accordés par l’Europe à l’Ukraine et la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’Europe. Rejoint il y a peu par le Premier ministre slovaque Robert Fico, il ne cache pas ses accointances avec Vladimir Poutine.

Reste qu’il a besoin de l’Europe pour renflouer son économie. Après la subvention de 10 milliards d’euros qu’il a reçue de l’Union européenne, 20 milliards supplémentaires restent bloqués pour cause de mauvais comportement.

Andre Ventura: le commentateur sportif devenu leader

Photo by Andre Dias Nobre

A l’origine commentateur sportif dans une chaîne de télévision privée sensationnaliste devenu le leader du parti portugais d’extrême-droite Chega, ça suffit », après être passé par le centre-droit pro-européen, André Ventura a forgé sa réputation avec les ingrédients du populisme, un savant mélange de provocation et de présence visible dans les médias. Son Trumpisme débridé l’amène à proposer pendant l’épidémie de Covid 19… d’interner les Roms dans des camps afin d’éviter toute contagion liée à leur hygiène de vie.

Aux récentes élections législatives, dans le même registre, il quadruple son score. Ayant raflé 50 sièges et près de 19% des voix, il installe une troisième force au Portugal qui condamne le nouveau gouvernement à rester minoritaire. Une sorte de Pascal Praud mué en Éric Zemmour. Le succès en plus…

Javier Milei : le « tronconneur » des Etats

Photo Luis Robayo

Le « tronçonneur » de l’État argentin n’est pas européen, mais est devenu une telle figure emblématique de l’extrême-droite qu’il a fait le voyage pour venir retrouver ses pairs à Madrid. Star de la convention, accueilli par les applaudissements nourris des Espagnols, Javier Milei a fait le show, fustigeant les élites mondiales et les idées socialistes. En provoquant au passage un incident diplomatique après avoir accusé la femme du Premier ministre espagnol d’être « corrompue ».

Scandale. D’autant que le Président argentin a refusé d’exprimer les excuses que lui réclamait le ministre des Affaires étrangères. L’ambassadrice d’Espagne en Argentine a donc été aussitôt rapatriée illico à Madrid. Il est en effet inédit qu’« un Chef d’État vienne dans la capitale d’un autre pays pour insulter ses institutions et commettre une ingérence dans ses affaires internes ». Du Javier Milei pur jus, provocateur sans aucune limite.

Madrid et après?

Au-delà des pantalonnades et des coups de menton, reste l’objectif annoncé de Madrid: réunir les « patriotes européens » et fusionner le groupe identité et Démocratie ( ID ) de Marine Le Pen et la CRE de Giorgia Meloni. Marine Le Pen, actuellement très isolée, y a intérêt même si Meloni domine la CRE. Un processus compliqué mais ce Congrès a renforcé le rapprochement. Et Madrid rend le danger d’une extrême-droite unie, plus plausible donc inquiétant encore.

Valérie Lecasble

Editorialiste politique