Fabius sapius
Sapius : « le plus sage». Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel, a eu cent fois raison, quoi qu’en dise la droite, de tancer Emmanuel Macron, dont les palinodies tactiques alimentent la campagne contre les gardiens de nos libertés.
Précieuse mise au point de Laurent Fabius, prononcée dans le style à la fois onctueux et cinglant qu’on lui connaît. Président du Conseil constitutionnel, l’ancien Premier ministre, juriste pointilleux formé au Conseil d’État, mais aussi politique jusqu’au bout du crâne, a bien compris l’offensive lancée depuis des mois par la droite extrême contre l’ordre constitutionnel. Aussi, quand il voit un gouvernement en difficulté en sortir en malmenant l’état de droit, il réagit.
Dans Le Figaro, dans Valeurs actuelles, sur CNews ou Europe 1, relayée par Zemmour, Le Pen ou Ciotti, une furieuse campagne veut faire croire que le « gouvernement des juges » – c’est-à-dire, entre autres, le Conseil constitutionnel – empêche la France de prendre les mesures qui s’imposent face à « la submersion migratoire ». « Nous voulons éliminer l’immigration », disent-ils, mais la « bien-pensance droit-de-l’hommiste » réfugiée dans ses bastions juridiques, arguant de soi-disant « droits fondamentaux » conférés aux étrangers, empêche la volonté collective de prévaloir. Il faut donc rabattre le caquet à ces aréopages non-élus qui se mettent en travers de la souveraineté populaire. Pente fatale qui verrait le populisme triompher des obstacles que lui opposent les gardiens des libertés publiques.
Sur ces entrefaites, empêtré dans une négociation laborieuse avec la droite, feu le gouvernement Borne a laissé sa majorité de circonstance, formée avec la droite dure, voter des dispositions dont il savait qu’elles contrevenaient aux principes constitutionnels. Expédient commode, mais expédient pervers. En laissant le soin au Conseil constitutionnel de censurer les dispositions illégales du projet, les macroniens ont offert sur un plateau à la droite dure l’occasion d’amplifier sa campagne contre les juges suprêmes. En statuant en droit, et donc en censurant les mesures inconstitutionnelles, le Conseil prendra inévitablement le mauvais rôle. Une nouvelle fois, sur un texte très visible, il sera accusé de piétiner la volonté du Parlement et celle du peuple.
D’où la discrète mais limpide admonestation de Fabius à Macron : « Monsieur le président, je soulignais au début de mon propos que le Conseil constitutionnel n’était ni une chambre d’écho des tendances de l’opinion, ni une chambre d’appel des choix du Parlement, mais le juge de la constitutionnalité des lois, et j’ajoutais que cette définition simple n’était probablement pas ou pas encore intégrée par tous ». Juste protestation : le Conseil n’a pas pour vocation d’arbitrer des différends politiques, ce que Macron lui a demandé en fait, mais de juger de la régularité constitutionnelle des lois. C’est ainsi qu’il peut et doit protéger les libertés, rôle que le populisme montant voudrait lui ôter au profit d’une souveraineté populaire émotionnelle, sans frein ni garde-fou. L’affaire paraît ardue et très juridique. Elle touche pourtant à l’essentiel : le maintien de nos libertés à tous, quelle que soit la majorité qui est sortie ou qui sortira des urnes.