Face au désastre, les voix d’Israël

par Sandrine Treiner |  publié le 14/10/2023

Les écrivains Amos Oz et d’Avraham Yehoshua ne sont plus là . Il reste David Grossman, qui a rompu le silence, et toute une nouvelle génération, israélienne et palestinienne, qui sait le besoin impérieux de trouver les mots pour dire l’indicible

David Grossman, écrivain israélien, lors de son discours à la cérémonie d'ouverture de la Foire du livre de Francfort - Photo by ARNE DEDERT / DPA/POOL / dpa Picture-Alliance

Où sont les voix d’Israël ? On n’entendra plus hélas celles des immenses figures d’Amos Oz et d’Avraham Yehoshua, inlassables défenseurs du camp de la paix. Et le poids de leurs disparitions récentes se fait sentir. Reste la voix du benjamin du trio tutélaire de la pensée israélienne, le grand écrivain israélien, David Grossman.

Il vient de sortir de son silence dans une tribune, « Un cauchemar à nul autre pareil », où il dit sa douleur infinie et a colère contre un gouvernement Netanyahou qui a « trahi » ses citoyens. Et son effroi devant des terroristes qui « ont perdu figure humaine ». Le tout entaché d’une forme de désespoir, quand il doute de voir, un jour, « guérir la tragédie proche-orientale ».

« Voilà que retentit déjà au Proche-Orient un écho terrible, annonciateur d’une catastrophe, voilà que les extrémistes gagnent à nouveau », s’écrie l’écrivaine Zeruya Shalev, sa voix puissante venue d’Haïfa (Le Monde ). Elle tente de dépasser la sidération pour pointer le parallélisme entre les images et les témoignages diffusés depuis samedi dernier et ses cauchemars d’enfant lorsqu’elle entendait sa « grand-mère, à 8 ans, qui se cachait pour échapper aux pogroms en Russie ».  Pogrom : le mot s’est imposé en quelques jours. C’est ce terme, sans exclusive d’autres, qui permet de singulariser l’évènement en cours.

Comme Zeruya Shalev, une nouvelle génération d’écrivaines et d’écrivains se fait entendre et tente de trouver les mots pour décrire, bien au-delà des commentaires politiques. Les mots forts pour faire exister, les mots justes pour dire l’irréel. Le verbe contre la barbarie.

« Toute attaque contre des civils est un crime de guerre », a dit simplement Elias Sanbar, intellectuel palestinien.  Pas facile d’être palestinien aujourd’hui : « si on écoute les discours des médias, on se regarde dans le miroir et on se demande si on est humain« , dit Yara El-Ghadban, romancière et anthropologue et enfant d’une famille de réfugiés palestiniens (France Culture).  » Depuis samedi, je suis obligée parce qu’on me le demande, de justifier mon humanité ».

Quant à la question de la barbarie, le cinéaste israélien Nadav Lapid, installé en France depuis 2019, faisait part ( Télérama ) dès le lendemain de l’attaque de son « désespoir existentiel  » et avançait une hypothèse : « On a rendu Gaza monstrueux, pas étonnant que des monstres aient poussé là-bas » en décrivant un État israélien « profondément malade », qui attiserait les désirs meurtriers des peuples.

Tous s’accordent à constater un tournant dans l’histoire d’Israël, en tous cas, un désastre pour les Israéliens comme pour les Palestiniens. Ilam Greilsammer, intellectuel et professeur de sciences politiques à Tel-Aviv, l’énonçait avec un calme impressionnant sur France Culture ‘les jeunes d’Israël, rappelait-il sont désormais « formés dans l’imaginaire de la Shoah », ce qui ne manquera pas de redoubler « l’impact extraordinaire » des actes des terroristes du Hamas.

Une nouvelle guerre vient de commencer. Elle a déjà produit une catastrophe. Nous aurons bien besoin des intellectuels pour faire de l’effroi une réalité pensable, et surmontable. Malgré sa détresse, le cinéaste Nadav Lapid pointait: « on a toujours cette foi que l’humain ait une âme et qu’il puisse échapper à son déterminisme social comme historique ».

Sandrine Treiner

Editorialiste culture