Face aux USA, l’Europe décroche…

par Bernard Attali |  publié le 25/09/2023

Sans relance européenne, le fossé continuera à se creuser avec l’économie américaine ! 

L’Union européenne décroche. Et la France avec elle. Bruxelles vient de revoir à la baisse ses prévisions de croissance à 0,8 % pour 2023 et 1,3 % pour 2024. De son côté, l’inflation annuelle (+ 5,5 %) vient de déclencher une nouvelle hausse du taux d’intérêt principal de la Banque centrale européenne (BCE) de 0,25 point, la dixième depuis juillet 2022.

À 4 %, ce taux a atteint son plus haut niveau depuis la création de l’Euro, en 1999.

L’économie américaine apparaît, elle, en meilleure forme. La croissance du PIB approche les 2 %, l’inflation de base semble stabilisée (+3,7 % en août), les prix du pétrole et donc de l’essence sont plus bas qu’à la même période de l’an dernier et les marges des entreprises en augmentation.

Ce découplage européen exige une sérieuse réflexion.

Jusqu’au début des années 2000, l’Europe talonnait, en effet, les États-Unis en termes de revenu. En 2008, la zone euro affichait un PIB de 14 200 milliards de dollars, contre 14 800 pour les États-Unis. Dix ans plus tard, le PIB européen s’élevait à 15 000 milliards de dollars, contre 27 000 pour celui des US, presque deux fois plus !

L’Europe a donc lâché prise. Et ces résultats traduisent l’échec de politiques frileuses, des politiques, disons-le, « de vieux ».

On pensait que les ambitieuses mesures post-Covid avaient rompu avec la frilosité des gouvernements et des banques centrales. Voilà que réapparaissent les conseils d’austérité dans les discussions européennes. La compétition mondiale exige pourtant de l’Europe une vigoureuse politique de soutien à l’innovation et une politique monétaire moins restrictive.

D’éminents économistes ont déjà expliqué qu’il ne devait pas y avoir de tabou en la matière, comme les 2 % d’inflation, objectif maximum fixé par la Banque centrale européenne. Et pendant que nous nous perdons en débats théoriques, le Président américain lance, lui, un vaste plan de soutien à l’économie.

Qu’on en juge. La relance américaine dépasse 400 milliards de dollars pour 2023. Pendant ce temps-là, l’Europe discute encore de la réponse à apporter. Et tout est à l’avenant. La France annonce 200 millions à investir dans le Métavers alors que Meta y a déjà englouti plus de 30 milliards ; Tesla vaut 750 milliards de dollars quand Renault en vaut 12… etc.

Voilà de quoi faire réfléchir notre ministre des Finances. S’il est dans son rôle en soulignant que l’économie française est un peu plus performante que celle de nos voisins – l’Allemagne en particulier – il n’est pas réconfortant d’être le meilleur élève dans une classe de cancres.

L’immobilisme n’arrangera rien. L’Allemagne, peu endettée, pourrait sortir de son conservatisme dogmatique. La France, très endettée, pourrait revoir son système fiscal dans un sens plus équitable.

L’Europe pourrait faire preuve de plus d’audace, ne serait-ce qu’en remettant à l’ordre du jour la mutualisation de ses capacités d’emprunt pour financer les investissements d’avenir.

Une étude récente montre qu’une taxe européenne sur un nombre limité de très grandes fortunes – avec un taux modéré mais progressif – pourrait rapporter chaque année plus de… 200 milliards d’euros ! Sans risque majeur de délocalisation des plus riches puisque d’application européenne !

Soyons clairs : sans relance européenne, le fossé continuera à se creuser avec l’économie américaine. Et à ce rythme, il faudra vite remiser la souveraineté européenne au magasin des illusions perdues. 

Bernard Attali

Editorialiste