Farce électorale à Alger

par Boris Enet |  publié le 11/09/2024

Connue d’avance, la réélection d’Abdelmadjid Tebboune confirme la mainmise d’un FLN vieillissant qui désespère la jeunesse algérienne.

Le président algérien sortant Abdelmadjid Tebboune en train de voter lors de l'élection présidentielle à laquelle il est candidat, le 7 septembre 2024 ( ALGERIAN PRESIDENCY FACEBOOK PAGE/AFP )

La victoire du président sortant en Algérie avec près de 94% des suffrages, largement passée inaperçue, a quelque chose de comique dans le surréalisme électoral. Mais au total, la farce est tragique pour les Algériens.

Soixante-deux après la fin du joug colonial, l’Algérie peine toujours à faire vivre une démocratie politique et sociale dont l’absence désespère sa population, notamment parmi les plus jeunes. Rien n’y fait : la révolution tunisienne du jasmin de 2011 n’a jamais sérieusement atteint Alger et, plus récemment, le mouvement populaire du Hirak s’est éteint, entre lassitude et répression, après les meurtrissures toujours mal refermées de la décennie 90.

Entre l’ex-parti unique, un FLN vieillissant miné par la corruption gazière et un parti islamiste prétendument modéré, El Bina, l’enjeu du scrutin se limitait à la participation électorale. Mais même dans ce domaine, les arcanes de la bureaucratie locale ne permettent pas d’en savoir davantage. Les trois formations en lice l’ont reconnu, jusqu’au vainqueur, en se plaignant conjointement auprès de Mohamed Cherfi, président de l’autorité électorale. Sans conséquence aucune.

La promesse de Tebboune – « faire de l’Algérie la deuxième économie d’Afrique » – souligne surtout les ratés d’une économie de rente dont l’anémie évoque la situation de l’URSS avant son écroulement. La diplomatie française a officiellement félicité le vainqueur, tout en s’inquiétant in petto de l’alignement de plus en plus préoccupant de la politique algérienne sur Moscou. En délicatesse avec la monarchie chérifienne du Maroc, fragilisée dans son dialogue avec Alger, préoccupée par la confiscation de la révolution tunisienne au profit d’un pouvoir autoritaire désormais raciste, la France peine à réinventer sa relation avec le monde arabe, toujours grevée par le passé colonial.

Le pouvoir algérien ne fait rien pour arranger les choses et son discours identitaire est le dernier artifice de dirigeants qui font irrésistiblement aux figures antédiluviennes de Gromyko ou d’Andropov, la Place Rouge en moins, les palmiers en plus. La résilience des populations d’Algérie, d’une tragédie à l’autre, pèse peu face à cet implacable rouleau compresseur qu’est le parti anciennement unique, ses officines, ses faire-valoir et sa police.

Pourtant, l’ouverture historiographique, le travail mémoriel notamment engagé par Benjamin Stora de ce côté de la Méditerranée sous la première mandature Macron, était une main tendue bienvenue, longtemps attendue. Encore fallait-il la saisir de l’autre côté et accepter de démystifier ce qu’il reste de « légitimité » à un pouvoir policier discrédité. Amnesty International ne cesse de dénoncer cette situation, dans une indifférence souvent douloureuse pour une partie de la diaspora européenne. Restent la poésie et la musique, éternels exutoires, mais aussi refuges de l’espoir. Comme le proclame le chanteur berbère Idir, icône de la gauche démocratique algérienne, reprenant en 2019 ce proverbe mexicain : « Ils veulent nous enterrer, mais ils oublient que nous sommes des graines. »

Boris Enet