FAST FOOD – FAST MUSIC

par Mathias Duplessy |  publié le 21/05/2023

Au secours ! La musique des premiers Colombo, celle des séries composées par Maurice Jarre ou Ennio Morricone ont cédé la place à de médiocres cocktails techniques souvent fabriqués par des faiseurs. Perte de qualité, perte des mots, donc perte de sens, alerte le compositeur Mathias Duplessy

Mathias Duplessy

L’analyse de la majorité des partitions de musique de films ou de séries sur les dernières décennies, nous force à constater un appauvrissement objectif de la matière musicale (harmonie, mélodie, rythme, arrangements, interprétation). Cette déliquescence d’une exigence de qualité s’est accentuée fin des années 80 et est devenue exponentielle.

Citons quelques exemples concrets. Penchons-nous sur une des séries les plus populaires dans le monde diffusé de 1971 à 2003 : Colombo. La complexité, l’originalité, la sophistication des compositions qui accompagne les enquêtes de Peter Falk est remarquable : contrepoint à 4 voix, big band de jazz mélangé au clavecin, cordes, virtuosité de l’arrangement, quelle richesse ! Le tout pour une série populaire, pas un téléfilm scandinave qui passe à minuit sur Arte ! Hélas, à partir des années 90 la série va se ringardiser et la musique devenir insipide.

La série Shogun (1980) avec Richard Chamberlain et Toshiro Mifune, tournées en décor réel au japon, composé par l’immense Maurice Jarre ! Mélange inventif de flute Shakuhachi et orchestre symphonique, avec des couleurs dignes de Stravinski .

La série Marco Polo (1982) composé par le grand Ennio Morricone, sous la forme d’un adagio pour violoncelle empreint de grandeur et de noblesse. Une minute cinquante de générique ! On prenait son temps. Ce n’est plus le cas. Plus ça va, plus on nous demande faire court. Court et facile. Sans développement. Donc pauvre.

Après le fast Food, la fast music. Avantage , on ne grossit pas. Inconvénient, on perd des points de Q.I.

Oubliés les dessins animés, Tom et Jerry, composés en partie des années 40 à 60 par l’excellent Scott Bradley, riches de trouvailles et d’inventions musicales !
Là aussi, tout change à partir des années 90 et la démocratisation des « home studios ». La majeure partie des musiques de dessins animés ou de pubs sont faites au synthétiseur par des imposteurs (souvent producteur, éditeur ou sound-designer), qui, attirés par le magot des droits d’auteur, s’improvisent compositeur. J’en en ai croisé quelques-uns….

La liste est sans fin. Attention, ne pas confondre simplicité et pauvreté.
La simplicité artistique est une épuration essentielle.
La complexité n’est pas en soi une preuve de qualité. Mais derrière les 2 notes de Miles Davis, les 2 accords d’un Erik Satie, ou le gimick d’un Morricone, il y a un océan de connaissances, de techniques, d’exigences, une vie au service de la musique.
La pauvreté artistique, elle, est un vide de connaissance et d’inspiration. Il n’est pas questions ici de gout, de « J’aime » ou « J’aime pas ».

La musique s’appauvrit :c’est un fait. Tout comme la culture musicale, tout comme la culture générale, tout comme l’expression, le vocabulaire et au fond du fond la perte du sens de la vie. Ne pas prendre de risque, allez là où on nous attend, rester dans sa zone de confort, rester dans son canapé, manger des pizzas surgelées, en regardant son écran qui vous caresse l’esprit dans le sens du poil. La nature humaine est paresseuse par essence.
Vous me direz peut-être : « Et alors ? Qu’est-ce que ça peut bien me faire que les musiques soient pauvres si moi je les aime ?».
Je laisserai Plotin vous répondre : « Chaque âme est et devient ce qu’elle contemple ».`

Mathias Duplessy

Musicien multi-instrumentiste, compositeur et arrangeur. il parcourt le monde avec son groupe  » Duplessy & the violins of the world « , écrit pour la guitare classique (Jouve, Cauvin, Milos…)Compose les B.O pour le cinéma à Bollywood (Laal Rang) , documentaire (prix UCMF 2020) et dessins animés (Mouk, Edmond & Lucy).

Mathias Duplessy