Faut-il payer les profs au mérite ?

par Boris Enet |  publié le 21/04/2024

Le gouvernement envisage une refonte du statut des fonctionnaires en même temps qu’une part modulable des rémunérations. Les difficultés sont multiples.

Classe du Collège François Villon- Photo Aline Morcillo / Hans Lucas /

En France, la carrière enseignante est presque exclusivement fonction de son avancement dans l’âge et la profession. De la classe normale jusqu’à la récente classe exceptionnelle, en passant par la hors-classe, les professeurs en gravissent les échelons avec la promesse uniforme d’atteindre celle du milieu, quels que soient leurs talents. Relevée par le syndicat FSU, la difficulté réside dans l’impossibilité d’établir scientifiquement l’impact sur l’amélioration des performances éducatives. Comment faire ?

Au Royaume-Uni, depuis les années 90’, des primes en fonction des performances des élèves aux examens font varier les salaires. En Espagne, Italie, Portugal, République tchèque, l’évaluation des enseignants est prise en compte pour l’attribution de primes diverses. Cette évaluation, par des pairs ou chefs d’établissement, est pratiquée dans 27 systèmes éducatifs européens. Aux États-Unis, en Chine ou en Inde, des primes incitatives existent, sans promotion automatique en fonction des années de service.

La crise des vocations et la faible attractivité sont une autre approche pour un corps pléthorique, dont une partie se sent délaissée par son ministère. Il existe d’ailleurs un système de primes incitatives, à l’instar des zones sensibles d’éducation, mais les majorations sont faibles, ne permettant pas d’attirer des professeurs chevronnés dans les endroits où les carences éducatives sont démultipliées. Comparativement, elles représentent 20 % du salaire des personnels d’éducation aux États-Unis. En revanche, toujours rien pour l’évaluation de la mesure de la performance, car… personne ne s’aventure à la mesurer sans critères solidement établis.

Jusqu’à un passé récent, les notes de la direction des établissements complétaient l’évaluation pédagogique d’un IPR (Inspecteur Pédagogique Régional), pour apprécier la carrière professorale. Depuis la seule progression dans l’avancement par l’âge, les visites d’inspection se bornent au conseil, l’évaluation formelle de la direction de l’établissement n’existant plus. Des compléments salariaux demeurent sous forme d’HSE (heures supplémentaires exceptionnelles) à la discrétion des principaux et proviseurs en cas de projets pédagogiques, mais pas de quoi encourager à sa juste mesure les plus investis. Une absence de reconnaissance qui peut déboucher à terme sur une lassitude, un désinvestissement voire comme le prophétisait Jean-Paul Brighelli -inspecteur un brin réactionnaire médiatique à la fin des années 90 –  à une fabrique d’aigris.

L’Institut international de planification de l’éducation de l’UNESCO déplore le peu de structures incitatives dans la rémunération enseignante, sans en évacuer la difficile question de l’équité. Mais la France se heurte à une vieille culture centralisatrice, non sans rappeler les mots âpres sur le « mammouth à dégraisser » de Claude Allègre occupant, il y a 25 ans, la fonction de ministre de l’Éducation. Pourtant, nombreux sont celles et ceux, agacés par le caractère mécanique et bureaucratique de leur paie, qu’elle relève du pis-aller alimentaire ou de la vocation pédagogique.

Alors, faut-il payer les profs au mérite ? La question est surtout « comment ? » .

Boris Enet