Faut-il sauver le soldat Borne?

par Valérie Lecasble |  publié le 04/06/2023

Elle vient de la gauche, lui va vers la droite.
Opiniâtre, elle veut continuer sa bataille ; lui, contrarié, regarde ailleurs. La fin d’un mariage de raison ?

Elisabeth Borne et Emmanuel Macron- Photo Ludovic MARIN / POOL / AFP

Dès le départ, il ne voulait pas d’elle. Pour Matignon, Emmanuel Macron avait choisi la LR, Catherine Vautrin, proche de Nicolas Sarkozy. S’il a fait volte-face et nommé au dernier moment l’ex-socialiste Élisabeth Borne, c’est sous la pression de certains de ses proches dont celle d’Alexis Kohler, l’indéboulonnable secrétaire général de l’Élysée, qui la connaît bien.

Pour essayer de séduire son président, Élisabeth Borne va tout tenter. À commencer par accepter de conduire seule et en première ligne la mère des batailles, celle des retraites, marquée du sceau de la droite, qu’Emmanuel Macron lui a imposée.

Combat contre nature.
Élisabeth Borne vient de la gauche. Pas du Touquet. Une pupille de la nation dont le père, juif d’origine russe, a survécu un temps aux camps d’Auschwitz et de Buchenwald avant de mettre fin à ses jours. Elle avait 11 ans.
Ancienne proche du parti socialiste, patronne de la RATP sous la gauche, elle sera directrice de cabinet de Ségolène Royal.

Si elle conserve sa sensibilité d’origine, elle a pris tôt le train de la Macronie. Trois fois ministre sous les gouvernements d’Edouard Philippe et Jean Castex : aux Transports, à la Transition écologique et solidaire et au Travail et à l’emploi. Sur le papier, elle était la plus aguerrie pour mener à bien l’inflammable réforme des retraites.

Dès 2018, c’est elle qui a conduit brillamment la plus difficile et la plus symbolique des réformes du premier quinquennat, celle du statut des cheminots. La dame ne manque donc pas de caractère et sait imposer ses conditions. Et elle va le montrer pendant la réforme des retraites.

Sur le fond, elle obtient tout de suite le recul de 65 à 64 ans de l’âge légal. Et réussit à contrebalancer ce volet – avant tout financier- par des contreparties sociales comme le minimum vieillesse à 1200 € ou l’index senior.
Sur la forme, elle arrache à Emmanuel Macron un délai pour négocier avec son partenaire naturel, la CFDT. Sans savoir alors que la posture de Laurent Berger, devenu le premier de ses opposants à la tête de l’Intersyndicale, ne le lui permettra pas.

De même pour le deal qu’elle envisage avec Éric Ciotti, le nouveau patron de LR. Son espoir de trouver en lui un allié et une majorité à l’Assemblée nationale sera contrecarré par la ligne minoritaire d’Aurélien Pradié.

Un coup à gauche, un coup à droite. Qui est donc Elisabeth Borne ? Pour remplir sa mission, le soldat Borne est allé au bout d’elle-même. Elle a cherché toutes les solutions, jusqu’à subir la pire des humiliations : la déroute. Constatant après six mois d’un combat sans merci l’échec de la méthode Borne, Emmanuel Macron lui impose de recourir au 49-3. Son pire cauchemar.

Sonnée, essorée, humiliée, insultée, elle est restée debout , jusqu’au vertige. À l’Assemblée, qu’elle continue à affronter, on la voit lire péniblement ses fiches, face aux députés qu’elle ne parvient décidément pas à embarquer. Impuissante à gagner une majorité que le Président de la République lui a intimé de trouver.

Les critiques fusent. On la dit autoritaire., elle manquerait de charisme et de sens politique, les humoristes politiques ricanent. Après tout, c’est une femme, non ? Rode l’ombre d’Edith Cresson.
Mais qui, dans les mêmes circonstances, aurait lutté plus vaillamment et offert à Emmanuel Macron la réforme qu’il exigeait ? En gagnant, au passage, une imprévisible victoire : le maintien par Standard & Poors de la note de la France.

Tête haute, elle a rempli sa mission, face à la meute politique dont deux ministres aux dents pointues, Bruno Le Maire et surtout Gérald Darmanin, sont en embuscade.

Ah, oui, c’est vrai, elle a osé affirmer en direct à la radio sa conviction que le RN est un parti héritier de Pétain.
En la recadrant brutalement, devant tout le monde, en Conseil des ministres, Emmanuel Macron y est allé fort. Trop fort. Comme il sait le faire quand il veut affirmer son autorité. Façon cassante et humiliante d’affirmer qu’il est le chef. Rappelez-vous: un certain 13 juillet 2017, devant un parterre de militaires ébahis, il s’en était pris à Pierre de Villiers, Chef d’État-Major des armées, provoquant sa démission immédiate.

Elle ne partira pas, va-t-il la répudier ?
Il n’a pas changé. Elle non plus.

Valérie Lecasble

Editorialiste politique