Féminicides Italie: Romanza criminale

par Marcelle Padovani |  publié le 15/03/2024

L’augmentation des féminicides trouble profondément la société italienne. Avec des récits exemplaires, soigneusement mis en scène, qui provoque des débats intenses

Gino Cecchettin (à droite), le père de d'une étudiante universitaire de 22 ans tuée par son ex-petit ami, à la cérémonie funéraire à Padoue, le 5 décembre 2023. Les funérailles de Giulia Cecchettin, 22 ans, à la basilique Santa Giustina de Padoue, ont attiré des milliers d'étudiants, d'autorités publiques et d'Italiens ordinaires - Photo ANDREA PATTARO / AFP

Triste bilan italien. Les féminicides augmentent au rythme d’un de plus toutes les 48 heures, jours de fête compris. Soit plus de cent depuis le début de cette année, inauguré d’ailleurs ouverte dès le Premier de l’an avec le meurtre d’Anna Lisa, 43 ans, poignardée par son mari. Ce crime curieusement n’a pas connu une médiatisation importante, alors que l’assassinat de Giulia Cecchettin, 22 ans, un mois auparavant avait mobilisé les foules .

Dix mille personnes étaient venues saluer sa dépouille devant la Basilique Santa Giustina à Padoue le 5 décembre. L’évêque s’était déplacé, le Président de la République avait envoyé un message et le Pape en personne avait téléphoné au père de la disparue. Le maire de Padoue avait, lui, proclamé une journée de deuil . Pourquoi l’énorme retentissement du meurtre de Giulia quand celui, il y a juste un mois, d’une jeune femme de 29 ans, Giulia Tramontana, enceinte de 7 mois, barbarement assassinée, est à peine évoqué dans les médias dans le quasi-silence des médias ?

La réponse est simple. Giulia Cecchettin était une jolie et sage provinciale, une étudiante modèle de l’Université de Padoue. Sa soutenance de thèse était programmée une semaine après son assassinat. Son meurtrier était son fiancé. Un enfant, comme elle de la bonne bourgeoisie catholique, bien-pensante et cultivée. En somme un couple parfaitement représentatif d’un « modèle italien » rêvé . D’où les manifestations diverses, les débats, les évènements culturels et le livre que le père de Giulia s’est mis à écrire pour une grande maison d’édition juste après l’enterrement.

Son titre : « Cara Giulia » . Une longue lettre affectueuse où il s’interroge savamment sur « les erreurs de la culture patriarcale » . Et où il s’autorise cette apostrophe : « Je m’adresse aux autres hommes, aux autres mâles et je leur dis de ne pas détourner la tête » . Voulant ainsi mettre en accusation la complicité et la possible « omertà » des hommes italiens avec les assassins. Au fond, aussi bien l’assassinat que l’enterrement de Giulia Cecchettin sont ainsi devenus une sorte de chef d’œuvre narratif d’ une société profondément bouleversée dans ses repères traditionnels.

Les participants au deuil ont eu l’impression de voir défiler sur leur écran personnel un film parfaitement construit avec des personnages symboliques auxquels il était facile de s’identifier. Un confrère de « La bussola quotidiana », un journal marginal mais plutôt affuté dans ses jugements, s’est alors fendu d’un éditorial agressif sur « les médias face à l’enterrement de Giulia » : « Le bon sens aurait dû impliquer sobriété et prudence dans la narration de cet effarent épisode de violence » écrit-il « or de nombreux excès ont accompagné le récit médiatique disproportionné des funérailles »

Pour conclure :  « On sème la haine au lieu de faciliter le dialogue » . Entre le silence absolu et l’excès de médiatisation, le chemin est étroit…

Marcelle Padovani

Correspondante à Rome