Fin de vie : le vrai débat

par Laurent Joffrin |  publié le 28/05/2024

Avant de se prononcer sur le projet de loi présenté par le gouvernement, qui prévoit d’autoriser « l’aide à mourir », il faut distinguer, chez les opposants, ce qui relève de la foi et ce qui découle de la raison.

Laurent Joffrin

La fort légitime discussion sur la fin de vie a commencé et se poursuivra pendant de longs mois. Pour y voir clair, un effort préalable est nécessaire : séparer, parmi les objections présentées, celles qui procèdent peu ou prou d’une croyance religieuse et celles qui sont fondées sur des arguments rationnels.

Un seul exemple : Le Figaro, hostile au projet, fait grand cas, dans sa livraison d’hier, des manifestations organisées un peu partout en France par l’association Alliance VITA, qui reproche au gouvernement « de saper tous les fondements de la fraternité ». Or cette association, animée notamment par Christine Boutin, est également opposée au droit à l’avortement et au mariage de personnes de même sexe. Et dans les trois cas, son opposition, quoi qu’elle en dise, s’appuie sur la foi et non sur la raison.

Il en va de même, sous une forme plus subtile et intelligente, de l’opposition des grandes religions, qui récusent la réforme pour des raisons similaires : c’est Dieu qui donne la vie, il est donc le seul à pouvoir la retirer. Ce qui veut dire, en clair, que ces opposants-là préfèrent voir un malade condamné mourir dans des souffrances atroces plutôt que d’écorner le dogme tombé du ciel. Bien entendu, cette opinion doit pouvoir s’exprimer en toute liberté. Mais celles et ceux qui les écoutent doivent connaître son origine.

Décivilisation

Il en va de même de l’argument « anthropologique », développé par exemple, de manière insistante, par l’écrivain Michel Houellebecq. Selon lui, et beaucoup d’autres, la loi changerait fondamentalement les sociétés qui l’appliquent, dans le sens d’une « décivilisation » ou d’une « décadence » destructrice. Ce qui revient à dire que la Belgique ou la Suisse, par exemple, qui admettent « l’aide à mourir » depuis longtemps, sont des pays en pleine déconfiture « civilisationnelle ». Où sont les faits, les chiffres, les exemples, qui corroborent cette affirmation ? Nulle part, évidemment. Il faut le craindre : le recours à « l’anthropologie » (qu’on avait déjà convoquée pour s’opposer au mariage pour tous) n’est qu’un masque qui dissimule une forme de conservatisme dogmatique.

Une fois ces fumées superstitieuses dissipées, restent les vraies questions, suffisamment graves pour qu’on se dispense des idées toutes faites. Citons-en quelques-unes. Est-il vrai que la généralisation des soins palliatifs permettrait d’éviter la totalité des souffrances endurées par les patients atteints de certaines maladies incurables et particulièrement cruelles ? Est-il vrai que la légalisation de « l’aide à mourir » soumettrait les patients les plus fragiles à une pression familiale ou sociale qui les conduirait à abréger leur existence pour ne pas imposer à leurs proches, ou à la société, un poids jugé insupportable ? Les expériences belge, suisse ou portugaise, déjà anciennes, accréditent-elles cette hypothèse troublante ? Et dans le cas où l’on admet le principe, jusqu’où faut-il l’étendre ? Aux personnes mineures ? Aux affections psychiatriques ? Aux pathologies dégénératives comme la maladie de Charcot ? Etc.

En un mot, sur cette question éminemment émotionnelle et intime, la société doit s’efforcer de débattre rationnellement. À moins de patauger de manière stérile dans une rhétorique obscure, pour ne pas dire obscurantiste.

Laurent Joffrin