Fin de vie : les conditions de la liberté

par Laurent Joffrin |  publié le 15/11/2023

Aider à « mourir dans la dignité » ? Oui, à coup sûr. Mais la banalisation de l’euthanasie présente aussi des risques

Laurent Joffrin

Aura-t-on bientôt le droit, en France, selon l’expression consacrée, de « mourir dans la dignité » ? C’est-à-dire, pour les patients atteints d’un mal incurable, le droit de se faire aider pour abréger leur agonie quand elle leur promet une souffrance qu’ils jugent insupportable ? C’est l’enjeu, simplement résumé, de la loi sur la fin de vie que le gouvernement s’apprête à faire voter en décembre prochain. Ce projet annonce une liberté nouvelle. Mais la question, qui touche au plus intime des êtres, mérite un examen qui mêle raison et humanité.

Jusqu’à maintenant, selon le régime instauré par la loi Claeys-Léonetti de 2016, les médecins avaient le droit, selon une procédure très encadrée, de pratiquer une « sédation profonde » quand la prolongation de la vie d’un malade relevait manifestement d’un acharnement déraisonnable. On se souvient du cas très médiatisé de Vincent Lambert, ce jeune homme ayant perdu toute conscience à la suite d’un accident de la route et condamné à une survie indéfinie dans l’inconscience, sans aucun espoir de guérison. Avec l’accord de son épouse – et contre l’avis de ses parents mus par une foi religieuse très affirmée – les médecins avaient pu interrompre légalement cette vie réduite à pratiquement rien.

Il s’agit cette fois d’aller plus loin. Selon toutes probabilités, le projet de loi autorisera les médecins, avec l’accord écrit du patient, assisté d’une « personne de confiance », à lui fournir le moyen de partir selon ses vœux, en s’épargnant une fin de vie faite de souffrance et d’indignité. Le gouvernement légaliserait ainsi « l’aide au suicide », qui permettra à ceux qui sont frappés d’un mal insupportable, fatal à brève échéance, d’en finir volontairement dans des conditions apaisées et consciemment assumées. Cette disposition existe dans plusieurs pays, en Suisse notamment, où Anne Bert, malade atteinte d’un mal terrible, auteure d’un livre au grand retentissement, ou encore le cinéaste Jean-Luc Godard, en avaient bénéficié.

Soyons clairs : même si elle traduit un échec, celui de la médecine à vaincre la souffrance, cette latitude nouvelle est un progrès. Elle offre à chacun de nous une liberté supplémentaire, qu’il peut ou non utiliser s’il est placé dans la tragique situation d’avoir à choisir entre la souffrance atroce et la mort volontaire. En effet, c’est surtout la conviction religieuse selon laquelle Dieu seul peut retirer la vie – ou bien le préjugé traditionnel – qui a conduit le législateur à interdire jusqu’à maintenant cette possibilité.

Plus épineuse est la question de l’euthanasie, qui consiste cette fois pour le médecin à donner lui-même la mort pour satisfaire à la demande d’un patient à bout. Ceci pour au moins trois raisons.

  • La proposition est par essence contraire au serment d’Hippocrate, selon lequel le rôle d’un médecin est de protéger la vie et non de la supprimer.
  • Elle se heurte à l’opposition d’une bonne partie des soignants, notamment ceux qui travaillent dans des unités de soins palliatifs chargées d’accompagner les malades condamnés et qui leur procurent attention et soulagement.
  • Enfin, selon ses opposants, en tout cas, elle risque d’exercer, par la banalisation qu’elle induit, une pression sur les malades condamnés, qui les conduirait à demander une euthanasie pour ne pas faire peser sur leur famille une charge morale et matérielle qui les culpabilise. Voire, dans certains cas, à inciter la famille à exercer elle-même cette pression pour en finir.

On aurait grand tort d’écarter ces arguments d’un revers de main. D’autant que toute légalisation entraînera nécessairement de nouvelles demandes visant à étendre la pratique, aux mineurs, par exemple, ou bien à des personnes déprimées, dont on peut supposer que, restant en vie, elles seraient susceptibles de changer d’avis.

Les responsables des soins palliatifs opposés à la proposition font aussi valoir qu’un accès universel à ces unités réduirait le nombre de demandes en offrant un accompagnement attentif. En tout état de cause, la légalisation de l’euthanasie suppose la mise en place de conditions strictes et de précautions visant à prévenir les dérives possibles. Ce sera l’objet du débat parlementaire qui suivra la présentation du projet de loi. Il mérite pour le moins, et loin de tout préjugé et de tout dogmatisme, tact et nuance.

Laurent Joffrin