Fiscalité : la grande évasion

par Gilles Bridier |  publié le 05/09/2023

L’État, en quête de recettes, aurait intérêt à s’attaquer à l’évasion fiscale qui atteint entre 80 et 100 milliards d’euros par an. En ligne de mire… les multinationales

Manifestation ATTAC contre APPLE à Aix-en-Provence - Photo ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Enfin ! Il aura fallu quinze ans, depuis la prétentieuse déclaration de Nicolas Sarkozy affirmant au G20 de 2009 –  « les paradis fiscaux, c’est terminé » – pour voir se concrétiser une mesure tangible. Plus précisément, après l’accord signé par 136 pays en 2021, l’imposition au taux minimal de 15 % des multinationales réalisant plus de 750 millions de dollars de chiffre d’affaires, va entrer en vigueur au 31 décembre prochain. Et l’État français doit, à ce titre, en discuter, dès cet automne, lors du projet de loi de finances pour 2024.

Un manque à gagner abyssal

En imposant un taux minimum aux pays laxistes, cette mesure va réduire l’avantage concédé aux multinationales qui délocalisent leurs bénéfices pour payer moins d’impôts. Au niveau mondial, cette disposition devrait rapporter 150 milliards de dollars par an aux états, dont, selon Bercy, 5 à 10 milliards pour la France. Pourtant, on est encore loin du compte…

Le manque à gagner fiscal est abyssal : entre 80 et 100 milliards d’euros par an en France, selon le syndicat Solidaires des finances publiques. Sans compter que, en privant l’État de ressources destinées à alimenter les services publics, les pratiques d’évasion minent les fondements de la démocratie et vident la citoyenneté de son sens, faisant le lit du populisme.

Fraude, optimisation et évasion

Attention, ne pas confondre fraude fiscale et sociale, illégale, des particuliers et des entreprises, et… l’évasion. Chère nuance. En luttant contre ce fléau, l’État a récupéré l’an dernier 14,6 milliards d’euros, sur un total estimé, pour la France à 40 milliards d’euros. Mais c’est sur les pratiques de l’optimisation et de l’évasion que l’État doit aussi intervenir.

En clair : l’optimisation fiscale recourt à des régimes dérogatoires ou dispositifs de crédits d’impôt mis en place par le législateur. Elle résulte donc de choix politiques. Les particuliers et les entreprises qui la pratiquent sont donc en règle avec la loi, quitte à pousser leur avantage aux frontières de la légalité.

Il suffirait que le législateur restreigne le champ des dérogations pour réduire les montants ainsi soustraits à l’impôt. Reste que pour des raisons à la fois de concurrence fiscale, de clientélisme électoral ou de dogmatisme libéral, les gouvernements en France ont souvent calé devant l’obstacle.

Hypocrisie

Quant à l’évasion fiscale, elle évolue dans des zones grises créées par les failles juridiques et les incohérences dans les accords internationaux. Du coup, elle peut se situer aux marges de la légalité. Exemple : une société délocalise son siège social pour s’installer dans un pays à faible fiscalité, avant de pratiquer entre ses filiales des prix de transfert destinés à réduire les bénéfices de celles… qui sont le plus taxées.

Entre l’optimisation et l’évasion, la porosité – et l’hypocrisie ! – est alors totale. Grâce à la créativité sans limite des experts qui construisent des montages financiers pour contourner les législations.

Ce sont ces montages auxquels doivent impérativement s’attaquer des États comme la France aujourd’hui accusée d’abdiquer face à la pression du monde des affaires.

Gilles Bridier