France-Afrique : les raisons d’un divorce
L’ancien modèle était dépassé : personne n’a su le réinventer. Au grand profit de la Russie et de la Chine.
Après avoir été chassé du Mali, du Burkina Faso puis du Niger entre 2020 et 2023, les soldats français seront désormais expulsés, le mot n’est pas trop fort, du Tchad et du Sénégal. L’avion du ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot venait juste de quitter N’Djamena dans la nuit de jeudi lorsque a été annoncée la rupture des accords de défense liant ces deux pays avec la France. Le communiqué tchadien parle sans détour de « tournant historique » et annonce la volonté « d’affirmer sa pleine et entière souveraineté, de redéfinir ses partenariat stratégiques ».
Depuis les années soixante, l’architecture bâtie après les indépendances africaines portait un nom, la « Françafrique ». Soit un système de relation entre les jeunes Etats et l’ancienne métropole fondé sur des liens économiques étroits et des accords de sécurité pour garantir la stabilité politique de ces régimes dans le contexte de la guerre froide. Le père de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, Felix Houphouët-Boigny, lui-même ancien député au Palais Bourbon et ministre de la République, parlait sans complexe de la « Françafrique » pour désigner cette relation spéciale qui unissait Paris à l’Afrique de l’ouest francophone jusqu’au Golfe de Guinée.
La chute du mur de Berlin en 1989 et le souffle de liberté qui a balayé les pays de l’ancien « glacis soviétique » s’est aussi fait sentir en Afrique francophone. Mais ce modeste zéphir est vite retombé. Idem pour les printemps arabes qui ont touché, vingt ans après, tous les pays de la rive sud de la méditerranée.
Sauf que personne n’avait anticipé que le soulèvement démocratique des pays arabes pouvait passer par la Libye. Après la mort de Kadhafi de nombreux opposants protégés par Tripoli se sont disséminés avec un armement conséquent autour du Sahara. Parmi eux, des rebelles touareg du Mali qui avaient fait alliance avec les djihadistes d’Al Qaïda. Les hélicoptères français sont intervenus pour stopper net les colonnes rebelles qui fondaient sur Bamako en janvier 2013.
Acclamé le 1er février sur place de l’Indépendance à Bamako, le Président Hollande a eu ces mots : « je n’oublie pas que lorsque la France a été attaquée, qui est venu ? C’est l’Afrique, c’est le Mali. Nous avons une dette à votre égard ». Et d’ajouter, « la France n’a pas vocation à rester ici, c’est ainsi que je conçois les relations entre la France et l’Afrique. C’est vous qui allez porter votre destin ».
Voici dix ans, une mise à plat des relations avec l’Afrique pouvait s’amorcer au moins sur le plan militaire. Quelque chose à déraillé. De ponctuelle et furtive, l’opération « Barkhane », est devenue plus lourde (5000 hommes) sans parvenir à contrer la menace djihadiste. Avec les revers de l’armée malienne, la création de milices à la solde de Bamako et leurs exactions, le sentiment anti-français s’est développé, attisé par la propagande russe. Bamako a connu deux putschs militaires. La milice Wagner apparait au Mali en 2021.
« L’effet domino » joue à plein : au Burkina Faso, au Niger, les militaires sont désormais au pouvoir. Les putschistes surfent sur le sentiment souverainiste, voire panafricaniste, de la jeunesse africaine. Et ce basculement remet en cause le viager poussiéreux qui perdurait avec la France depuis les indépendances. « La France a raté le virage. Elle est restée sur l’ancien paradigme des relations franco-africaines. Le premier coup de semonce était venu du Mali en 2021 avec l’échec de l’après Barkhane. Maintenant tout s’accélère et c’est irréparable », relève le Président du centre international de réflexions et d’études sur le Sahel, Seidik Abba.
Et donc, le Tchad et le Sénégal. Avec un millier de militaires, avec ses Mirages, la base de N’Djamena était le pivot du dispositif en place depuis l’ère post-coloniale.
Dimanche, Jean-Noël Barrot était à Dakar. Les autorités sénégalaises commémoraient le massacre du 1er décembre 1944, ce jour où des soldats français ont ouvert le feu dans le camp militaire de Thiaroye, tuant des dizaines de tirailleurs qui avaient osé réclamer leur solde à leur retour des combats pour la libération de la France. Le nouveau Président sénégalais Bassirou Diomaye Faye a fait de cette date un marqueur de la mémoire africaine. Porté par une jeunesse dakaroise intransigeante qui ne se satisfera pas d’une simple reconstruction mémorielle, il envisage de réclamer des excuses officielles.
Entre Paris et l’Afrique, il ne s’agit plus de tout changer pour que rien ne change. Voilà longtemps que le « pré carré » français n’existe plus. Les capitales africaines sont courtisées comme jamais. Depuis quinze ans déjà le continent est le premier partenaire de la Chine.