Botul, le canular suprême

par Thierry Gandillot |  publié le 24/05/2024

Dans Freud et le cigare fatal, une escouade de philosophes farceurs fait revivre Jean-Baptiste Botul, le penseur fictif qui avait piégé BHL

D.R

Connaissez-vous Jean-Baptiste Botul ? Ce philosophe a connu son quart d’heure de célébrité, en février 2010 lorsque Bernard-Henri Lévy l’a convoqué, dans son essai « La guerre en philosophie ». Selon BHL, Botul aurait démontré de façon définitive «  au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans sa série de conférences aux néo-kantiens du Paraguay, que leur héros était un faux abstrait, un pur esprit de pure apparence ». Or, cette colonie d’exilés allemands du Paraguay n’a jamais existé : Botul est un canular.  Beau joueur, BHL a reconnu s’être fait piéger par ce « très brillant canular. Le canular étant une tradition normalienne, j’ai pu même éprouver un certain plaisir à m’être laissé piéger à mon tour, par une mystification aussi bien ficelée. »

L’affaire était fort bien ficelée en effet, et depuis longtemps. L’Association des amis de Jean-Baptiste Botul, présidée par Frédéric Pagès, agrégé de philosophie,  a été créée en 1996. Son NoDuBo (Noyau Dur Botulien) comprend des avocats de la conférence du stage, des psychanalystes, des écrivains (parmi lesquels Hervé Le Tellier, ci-devant prix Goncourt et pilier de l’Oulipo), des professeurs d’économie et de latin. Botul a publié plusieurs ouvrages dont certains ont été fort sérieusement chroniqués : «  La vie sexuelle d’Emmanuel Kant », « Landru, précurseur du féminisme », « Nietzsche et le démon de midi » … Et aujourd’hui «  Freud et le cigare fatal ».

 Maintenant que la supercherie est éventée, le NoBuDo a rendu officielle la biographie de Botul, « né dans l’indifférence générale » à Lairière dans l’Aude le 15 août 1896 et décédé dans la même indifférence en 1947, un même 15 août, au même endroit. Entre-temps, il aura fui en Argentine en 1914, rencontré Emiliano Zapatta et Pancho Villa au Mexique, aura eu de brèves idylles avec Marie Bonaparte, Marie Curie, Lou-Andreas Salomé et Simone de Beauvoir, composé le Botuléro, revu et corrigé plus tard par Ravel sous le nom de Boléro.

En 1945, il décide de «  rentrer en résistance ». Au cours de sa vie, il se sera brouillé avec Jean-Paul Sartre, Joséphine Baker, Gaston Bachelard, Marthe Richard, Maurice Chevalier, Marguerite Duras, Charles Trenet et Monseigneur Daniélou.  On en passe.

En 1938, Botul, chauffeur de taxi à Rome, met au point une thérapie révolutionnaire : la taxi-analyse dont la singularité est que c’est le patient qui écoute et le thérapeute qui parle. Son premier client est Sigmund Freud. Grand fumeur de cigares, il est atteint d’un cancer à la mâchoire et n’a plus qu’un an à vivre. En trente courses romaines, Botul, au volant de son Hispano-Suiza modèle H6B,  va entretenir son auguste passager de ses réflexions sur la mort et ses pulsions, la montée du fascisme mussolinien ou  l’usage politique du tabac.

Sans compter de multiples digressions où le plus grand sérieux se mêle aux plus savoureuses facéties. On croise au passage Voltaire, Diderot et d’Alembert qui ont en commun d’avoir refusé sur leur lit de mort malgré l’acharnement des ecclésiastiques dépêchés à leur chevet à leur faire renoncer à leur athéisme.

Il s’interroge sur les épidémies de suicide au crépuscule de l’empire austro-hongrois. Ou sur les motivations qui ont poussé Empédocle à se jeter tête la première dans la bouche de l’Etna.  Et Héraclite à s’enduire de bouse pour soigner son hydropisie, thérapie audacieuse qui lui fut fatale, Les suicides exemplaires de Socrate et Sénèque méritent selon Botul, cinq étoiles et les félicitations du jury. C’est à dire lui.

« Freud et le cigare fatal », Jean-Baptiste Botul. Le Cherche-Midi. 180 pages. 17,90 euros

Thierry Gandillot

Chroniqueur cinéma culture