Front Populaire et Front national

par Laurent Joffrin |  publié le 26/06/2024

Dans une symétrie artificielle et macronoïde, certains voudraient nous faire croire que gauche et RN sont identiques.

Laurent Joffrin

Il est un canard qu’il faut tuer au plus vite, faute de quoi de nombreux démocrates se réveilleront le 8 juillet en avouant, dans une tardive contrition : « Je n’ai pas voulu cela ». Ce canard (fausse affirmation, en français familier), colporté ad nauseam par la droite et les macronistes, consiste à dire que le Rassemblement national et le Nouveau Front Populaire, au bout du compte, c’est la même chose.

Nous ne cherchons en rien à minimiser ici les dérapages, les ambiguïtés, les scandaleuses déclarations émanant de responsables de la France Insoumise. Nous les avons nous-mêmes dénoncées hautement, en termes fort peu aimables et ce avant bien d’autres. Chacun a bien compris que Jean-Luc Mélenchon et ses sbires, abonnés à la provocation, forment collectivement le boulet qui tire la gauche vers le bas.

Mais enfin ! Par souci polémique, on assimile ces prises de position outrageantes à celles de l’ensemble des représentants du Nouveau Front Populaire. Voilà qui est franchement calomnieux. A-t-on jamais pris une ou un militant socialiste, communiste ou écologiste en fragrant délit d’ambiguïté antisémite ? Y a-t-il dans leurs textes, leurs discours, leurs manifestes, leurs programmes, une bribe de langage douteux sur ce point ? Plus largement, y a-t-il, dans leurs propositions ou leur doctrine, ou dans le texte de l’accord qu’ils ont signé, un quelconque élément qui contrevienne aux valeurs républicaines ?

Catéchisme anti-gauche

C’est pourtant ce que des républicains sincères, des compagnons de route honorables, sont en train de dire ou d’écrire, en cautionnant – en répétant ? – le catéchisme anti-gauche des macroniens, qui mettent sur le même plan le Rassemblement national et la gauche unie. Pour être clair, nous faisons ici référence aux diatribes symétriques adressées aux uns et aux autres par le journal Franc-Tireur, pourtant fort valeureux dans sa lutte contre les extrêmes et l’obscurantisme. Ou encore à un texte signé par Manuel Valls, qui juge les gauches « irréconciliables » et décide, en conséquence, de les quitter toutes les deux, ou bien encore par Bernard Cazeneuve, notre ami, grand républicain et Premier ministre regretté de tous, qui met son admirable rigueur intellectuelle au service d’une ligne qui l’éloigne de la gauche. Même s’il y reviendra…

Non, le Nouveau Front populaire n’est pas le décalque du Front national. Ils sont radicalement opposés, dans des camps intellectuellement incompatibles, relevant de deux philosophies ennemies, en dépit de l’intempestive présence de Mélenchon. Non, l’extrême-gauche et l’extrême-droite ne se rejoignent pas.

Et surtout, la vérité est celle-ci : quoi qu’il en dise, ou quoi qu’il vocifère, Mélenchon a perdu le contrôle de la gauche. Il a même du mal à garder celui de sa propre organisation, ce qui explique les purges trotskisantes – un retour aux sources – auxquelles il se livre depuis deux semaines. Dernière victime, François Ruffin, excommunié par le Pape Insoumis sans pater ni ave, et insulté par Adrien Quattenens, le gifleur de femmes, qui estime que s’opposer au chef, c’est rejoindre le RN. Or, dans la future assemblée, il y aura plus de non-mélenchonistes que de mélenchonistes. Comment LFI pourrait-elle diriger cet attelage ?

Le Nouveau Front Populaire est un cartel, une alliance de circonstances, un expédient électoral destiné à empêcher la décimation des députés de gauche à l’Assemblée. Il ne présage pas de la gauche future, qui dépendra – probablement dans l’opposition – de l’éternelle concurrence entre réformistes et radicaux. Ce combat-là n’est pas perdu d’avance : le score de Raphaël Glucksmann aux européennes en témoigne. Dans ces conditions, jouer d’une fausse symétrie, confondre nationalistes et socialistes, c’est risquer de faite élire des députés RN. C’est aussi déserter cette lutte entre les deux gauches, en risquant de livrer le terrain à LFI. C’est faire, en un mot, le jeu conjugué de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon.

Laurent Joffrin