Front populaire ? Mais lequel ?

par Laurent Joffrin |  publié le 10/06/2024

Les partis de gauche se sont accordés pour présenter un seul candidat dans chaque circonscription. Fort bien. Mais sur quel programme ? Celui de LFI, ou celui d’une gauche rationnelle ?

Laurent Joffrin

Il a raison, Glucksmann. Si « Front populaire » il y a, ce qui semble être le cas depuis l’accord conclu hier soir pour une candidature unique des gauches dans chaque circonscription, il faut en mesurer le prix. Car s’il s’agit de ressusciter la défunte NUPES, c’est le passeport pour l’échec. Et, quoi qu’en disent les zélotes de la gauche radicale, un marchepied pour le RN.

Pour l’emporter, une gauche pour l’instant collée à moins d’un tiers des voix doit nécessairement s’élargir. Et dans quelle direction s’élargir, sinon vers les électeurs situés moins à gauche ? On parle de Front populaire. Référence ancienne mais contraignante : à l’époque, la « gauche radicale », c’est-à-dire le Parti communiste, sortant d’une période sectaire et agressive, mais craignant la victoire du fascisme, faisait assaut de modération, refusant les mesures trop clivantes et annonçant d’avance qu’il ne souhaitait pas gouverner, mais « soutenir sans participer ». Tout le contraire d’un Mélenchon, qui voudrait soumettre la gauche à ses obsessions de rupture.

On ne sait rien, à l’heure où nous écrivons, du contenu programmatique de l’accord. Et notamment de cette question cruciale : quelle est la part concédée à LFI ? Car s’il s’agit d’avaliser a posteriori les invectives des Insoumis, leur sectarisme teinté d’antisémitisme, leur irréalisme congénital, leur arrogance cynique, leur volonté hégémonique, alors même que la liste Glucksmann a remis les pendules de la gauche à l’heure, très peu pour nous.

Main tendue

Pour sortir de son pré carré, la gauche doit tendre la main à d’autres électeurs, notamment ceux qui pourraient rejoindre une coalition réformiste, seule alternative possible au macronisme, seul rempart crédible contre le RN. Et donc : clarté sur le soutien à l’Ukraine, position équilibrée sur le conflit de Gaza, volonté européenne sans faille, réformes sociales audacieuses mais finançables, abandon sans ambages des outrances et des agressions verbales qui sont l’apanage de LFI. Pour le moins.

Quant à « l’incarnation », souci inévitable de toute coalition prétendant au pouvoir, l’hypothèse Berger, quelle que soit sa probabilité, est adéquate. L’ancien leader de la CFDT, qui a fait de son syndicat le premier de France, qui exprime le monde du travail et réfléchit depuis longtemps au devenir du pays, est une tête d’affiche plus qu’honorable. Pourquoi le PS, qui partage les mêmes valeurs et les mêmes convictions, ferait-il la fine bouche ? Pour ne pas déplaire à Mélenchon ? Ce serait alors jeter le masque et avouer qu’on préfère les combines électorales de courte vue à l’avenir du pays.

Telle est la responsabilité historique du PS qui vient de s’accorder avec le reste de la gauche : rester lui-même, ou se soumettre à LFI ; choisir la démocratie ou bien Mélenchon ; viser l’échec du RN et peut-être la victoire, ou céder aux maîtres-chanteurs insoumis en échange d’une poignée de circonscriptions.

Laurent Joffrin