Front populaire : une révolution culturelle

par Pierre Feydel |  publié le 20/01/2024

Rachida Dati, ministre de la Culture prétend « vouloir bâtir une culture populaire pour tous ». Bien avant elle, d’autres – membres du Front populaire – l’ont réussi avec éclat

Ouvrier levant le poing, à Paris, lors des grandes grèves d'avril-mai 1936. Les grèves du printemps sous le ministère du Front populaire dirigé par Léon Blum ont abouti aux accords de Matignon et à la satisfaction du travail comprenant les congés payés (une quinzaine de jours) et la semaine de 40 heures -Photo AFP

Lorsque le gouvernement du Front populaire est constitué, après les législatives du printemps 1936, il ne compte pas de ministre de la Culture dans ses rangs. Pourtant le président du Conseil, Léon Blum a montré un grand intérêt pour la vie culturelle. Il y a même activement participé. Pendant vingt ans, il pratique la critique littéraire, dramatique et acquiert une vraie notoriété. Il collabore à « Revue blanche », comme Gide, Proust, Péguy, ou Toulouse-Lautrec, Bonnard ou Vuillard. Il écrit quelques essais. Cet intellectuel place très haut la créativité. Selon lui : « la seule réalisation impérissable du travail et de l’énergie humaine, c’est l’art. »

Il a dans son gouvernement des hommes qui vont jouer un rôle essentiel dans la politique culturelle de son gouvernement : Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale et Léo Lagrange, secrétaire d’État aux Loisirs et aux Sports. La culture pour tous est à l’ordre du jour.

Le premier est un des « jeunes Turcs » du Parti radical avec Pierre Mendès-France ou Pierre Cot. Une aile gauche brillante, active. Il fourmille de projets qui ne verront pas tous le jour avant la Seconde Guerre mondiale, mais qui seront réalisés à la Libération. Jean Zay ne sera plus là pour assister à cette consécration. La Milice l’a assassiné le 20 juin 1944.

On imagine mal aujourd’hui tout ce qu’il a créé ou prévu ;  l’idée de l’ENA, le CNRS ou le Festival de Cannes, les bibliobus, un début d’élaboration d’une règlementation des droits d’auteur, le musée de l’Homme ou celui d’Art moderne, la Réunion des théâtres lyriques nationaux, etc.

Léo Lagrange, socialiste préposé aux loisirs y compris culturels va lui jouer avec le milieu associatif. L’avènement des congés payés va lui ouvrir un espace. Son projet de clubs de loisirs va préfigurer les Maisons des jeunes et de la culture lancée après-guerre.

Surtout l’action de la puissance publique va converger avec celles d’une multitude d’associations culturelles se réclamant du Front populaire : l’Association populaire des amis des musées, celle pour le développement de la lecture publique. La question culturelle travaille les partis, les syndicats. Une ‘association communiste qui se nomme « Maison de la Culture » s’intéresse aux Beaux-Arts, mais aussi à l’« art mural . » Le gouvernement accorde une place éminemment éducative aux musées. Les mardis populaires lancés par Léo Lagrange permettent aux adhérents de la CGT et à leurs familles ainsi qu’aux usagers des auberges de jeunesse de visiter le Musée du Louvre de 20 h à 22 h. Tous les mardis pour 1,5 franc par personne.

C’est un formidable foisonnement d’initiatives de ce type qui se fait jour dans tout le pays. Le Front populaire a eu l’immense mérite non seulement de vouloir démocratiser la culture, mais aussi d’en élargir le champ à toutes les formes de création. La culture selon ce gouvernement et les organisations de toutes sortes qui le soutiennent se veut joyeuse et ouverte. À l’exposition internationale de 1937, le Front populaire défendra même l’idée d’un département voué à « l’art des fêtes. »

Pierre Feydel

Journaliste et chronique Histoire