Gauche : cachez ces immigrés que je ne saurais voir
Combien de temps la gauche française va-t-elle laisser à l’extrême-droite le monopole du discours sur l’immigration ? Son silence nous conduit tout droit à un désastre politique.
Le signal d’alarme vient d’être tiré – dans une indifférence quasi générale – par la Fondation Jean Jaurès. Au terme d’une longue étude, appuyée sur une enquête de l’institut BVA, les auteurs expriment, en termes prudents, mais clairs, leur inquiétude devant la désinvolture – ou la pleutrerie – des responsables de la gauche.
Pour 69 % des Français « il y a trop d’immigrés en France.
Première constatation, connue, mais impressionnante : pour 69 % des Français « il y a trop d’immigrés en France ». Réponse brutale, sans appel : l’opposition à la poursuite de l’immigration actuelle ne fait aucun doute. Position de droite, ou d’extrême-droite ?
Pas seulement : cette conviction est partagée par 48 % des électeurs de gauche (51 % pour LFI, 50 % pour les Verts, 43 % PS), un taux en forte augmentation depuis la dernière enquête de 2018. Ainsi les électeurs de la gauche, quel que soit le parti concerné, sont en décalage avec elle.
Quand on rappelle ces chiffres, on s’entend souvent répondre : vous rejoignez donc la droite dure…
Quand on rappelle ces chiffres, on s’entend souvent répondre : vous rejoignez donc la droite dure, comme l’ont fait par exemple les sociaux-démocrates danois. Erreur et confusion : la note de BVA publiée par Jean-Jaurès se contente de mesurer l’évolution des électeurs ; et surtout, elle précise aussitôt que l’opinion se divise en fait en trois camps : un tiers de personnes estiment qu’il n’y a pas « trop d’immigrés » – ce sont « les ouverts ». Un tiers estime qu’il y en a « trop », sans nuances – ce sont « les réfractaires ».
Mais il y a aussi, entre les deux, un troisième tiers, ambivalent, qui estime l’immigration excessive, mais souhaite néanmoins accueillir les réfugiés persécutés dans leur pays ou bien les travailleurs utiles aux secteurs « en tension ». Ce sont les « réservés ».
Autrement dit, un tiers des Français refusent toute immigration, mais les deux autres tiers y sont en fait favorables, à condition qu’elle soit régulée, c’est-à-dire contrôlée
On voit ainsi se dessiner deux majorités possibles sur la question migratoire : ceux qui jugent l’immigration excessive forment les deux tiers ; mais ceux qui estiment juste d’accueillir les réfugiés ou les travailleurs nécessaires à l’économie en font partie pour moitié. Autrement dit, un tiers des Français refusent toute immigration, mais les deux autres tiers y sont en fait favorables, à condition qu’elle soit régulée, c’est-à-dire contrôlée.
Diagnostic confirmé dans la suite du questionnaire. L’institut BVA a testé les mesures prévues dans le plan immigration que le gouvernement se prépare à présenter. On constate alors que 86 % des électeurs de gauche sont favorables au retrait des papiers d’un étranger « qui ne respecte pas les valeurs de la République ».
Le message est clair : nous n’adhérons pas, ou pas forcément, aux thèses du Rassemblement national, mais nous voulons que l’immigration soit maîtrisée
Soixante-dix pour cent d’entre eux approuvent l’obligation de passer un examen avant d’obtenir une carte de séjour. Cinquante-quatre pour cent des électeurs LFI, 69 % de ceux du PS, et 70 % des Verts, souhaitent renforcer la mise en oeuvre des obligations de quitter le territoire français (OQTF) pour les immigrés qui ne remplissent pas les critères d’admission en France.
Il y a là un socle politique pour bâtir une politique équilibrée, respectueuse des valeurs républicaines, mais aussi réaliste. Encore faut-il la formuler clairement. Ce que la gauche se garde bien de faire
Le message est clair : nous n’adhérons pas, ou pas forcément, aux thèses du Rassemblement national, mais nous voulons que l’immigration soit maîtrisée, pour garantir un bon accueil des réfugiés et une intégration satisfaisante des nouveaux arrivants.
Il y a là un socle politique pour bâtir une politique équilibrée, respectueuse des valeurs républicaines, mais aussi réaliste. Encore faut-il la formuler clairement. Ce que la gauche se garde bien de faire : soit elle proteste, par principe, contre toute mesure restrictive ; soit elle formule sa politique en termes si généraux que l’opinion ne l’entend pas.
En attendant, ses électeurs, notamment ceux des classes populaires, faute d’une alternative crédible, écoutent d’une oreille de plus en plus attentive la propagande de l’extrême-droite…