Gauche : l’effet pervers du « wokisme »
Les excès de certaines revendications sociétales ont nui à la campagne de Kamala Harris. Les mêmes causes peuvent avoir les mêmes effets en France.
On le sait : il arrive à l’arroseur d’être arrosé. Certains – et certaines – thuriféraires des nobles causes finissent par les desservir. On l’a vu aux Etats-Unis, où la radicalité des partisans des droits des femmes, des homosexuels, des transgenres, des non-binaires et autres catégories qui se sentent discriminées, a pesé sur le scrutin, favorisant l’élection de Donald Trump. Le ras-le-bol d’une partie de la population qui rêve d’un retour à une société plus traditionnelle l’a détournée de la candidate démocrate, accusée (à tort) d’être le suppôt de toutes les avancées sociétales les plus clivantes. Voilà les avocats de l’intransigeance Gros-jean comme devant : leur pire ennemi a été élu !
Le scénario peut se reproduire en France. Le « wokisme » à la française n’a ni l’ampleur, ni les moyens du mouvement américain. Mais des réactions se font jour contre ceux qui réclament toujours plus de tolérance pour les modèles non-classiques en matière de genre… avec une rare intolérance. Les soutiens à la cause transgenre, par exemple, sortent leur bazooka contre les avocats de la prudence en matière de transition chez les mineurs. Serait-ce un crime de s’interroger ? Des auteurs sont même interdits de parole, comme la pédopsychiatre de renom Caroline Éliacheff, empêchée de s’exprimer à l’occasion de la sortie de son dernier livre, La fabrique de l’enfant transgenre. La lutte contre les discriminations est juste, mais le prosélytisme agressif de certaines associations fait peur à nombre de parents inquiets.
Même le féminisme, que l’on pensait une cause entendue, pâtit des outrances de son aile la plus radicale. Celle-ci commence à exaspérer une partie de la population, y compris à gauche. Les études montrent que de plus en plus d’hommes, les jeunes en particulier, ne supportent plus que leur soit imposée la « déconstruction » vantée par la très militante Sandrine Rousseau, députée en pointe sur ces questions. Les propos de quelques dirigeantes féministes qui, à l’occasion de l’impressionnant procès Mazan, ont mis tous les mâles dans le même sac, les accusant d’être des violeurs en puissance fabriqués par le patriarcat, a heurté beaucoup d’entre eux, et même quelques femmes, agacées d’être toujours rangées dans le camp des victimes.
Les procès de certaines personnalités publiques, de la politique ou de la culture, s’ils constituent un progrès, provoquent aussi un sentiment d’incompréhension, voire de colère dans une partie de la gent masculine, surtout quand ils aboutissent à un non-lieu ou à un acquittement. La dénonciation publique des comportements sexistes et violents est très souvent justifiée. Mais elle tombe parfois à coté, diffusant l’idée qu’une « justice populaire » moyenâgeuse est à l’oeuvre. Le cas de Julien Bayou, ancien leader de EELV, est sans doute le plus frappant. Cloué au pilori sans preuves par Sandrine Rousseau, il a été blanchi par une association féministe missionnée par les Verts, sans aucune excuse subséquente, alors que sa carrière a été ruinée et sa réputation détruite. Un innocent a été déshonoré sur la place publique par des militantes extrêmes. Chaque homme se dit : après tout, cela peut aussi m’arriver.
Ces porteuses de la vraie croix, hostiles à toute nuance, ont pourfendu Caroline Fourest pour avoir osé pointer quelques débordements du mouvement #MeToo, au lieu d’en débattre sereinement. Le deux poids deux mesures pratiqué sur la question du voile irrite aussi jusqu’à l’intérieur du mouvement féministe : comment mettre sur le même plan son interdiction à l’école, règle laïque contre les signes religieux ostensibles en général, et son port obligatoire sous peine de prison et parfois de torture en Iran ? La philosophe Sylviane Agacinski, boycottée par la presse progressiste, a écrit dans son dernier livre comment ce bout de tissu sur la tête a toujours été un symbole de soumission de la femme, bien avant la naissance de l’Islam. Le nier revient à s’aveugler. Comme le dit Marjane Satrapi, « à force de ne pas vouloir avoir l’air raciste, on joue le jeu des fanatiques ». Et que dire de la discrétion de la plupart des organisations féministes le 7 octobre devant le massacre des femmes israéliennes par le Hamas ? Cela permet aux responsables de l’extrême-droite française de devenir les meilleurs défenseurs des Juifs. Un comble !
L’élection de Donald Trump est un avertissement. Certes pas pour abandonner des combats justes, où tous les points marqués en faveur de plus d’égalité réjouissent tous les démocrates. Mais pour ne pas se caricaturer et offrir des arguments à l’adversaire. En un mot, pour ne pas tirer, malgré soi, contre son camp.