Gaza : La fracture Nord Sud
À mesure que la guerre continue à Gaza, le fossé entre l’Occident et le reste du monde se creuse. Revue de la presse étrangère du Sud dit global…
Apparu lors de la guerre en Ukraine, celui-ci est nourri du ressentiment des populations anciennement colonisées qui pointe le « double standard occidental », prompt à punir la Russie mais lent à faire pression sur Israël. Les opinions publiques du « Sud global » trouvent en la lutte et la souffrance des Palestiniens un écho à leur propre histoire récente. Si les constats sur la « perte » du Sud global par l’Occident et Israël sont légion parmi la presse occidentale (The Daily Star, Le Monde, The Time, Financial Times), on en trouve aussi des échos dans la presse de ces pays.
En Chine, la presse n’ose pas aller plus loin que les positions officielles et les traditionnels appels au renforcement du multilatéralisme. On remarque cependant dans les lignes du South China Morning Post une gourmandise à insister sur le décalage entre le soutien inconditionnel des États-Unis à Israël et « les vues de plusieurs pays en voie de développement ». Vues que Pékin partage pour contester la suprématie américaine, bien évidemment. Pour Al Jazeera, le porte-voix du Qatar, « Israël a perdu la guerre de l’opinion publique ».
La souffrance de la population palestinienne est le principal angle de traitement du conflit à mesure que le conflit s’enlise. Le quotidien indonésien Kompas, le plus lu du pays, offre une tribune à l’ancien ministre et ambassadeur Hamid Awaludin qui y dénonce le blocus israélien qui empêche l’acheminement de l’aide humanitaire. Le pays comptant le plus de musulmans au monde dispose d’un hôpital dans la bande de Gaza régulièrement frappé par les frappes de Tsahal et le soutien à la Palestine y va de soi. Pour l’ancien ministre, la suite est déjà écrite : « Je soupçonne fortement que cette tactique de guerre israélienne est utilisée dans le but de vider Gaza à l’avenir. Ainsi, Israël occupera pleinement Gaza, puis la possédera de manière permanente. Il s’agit d’une intention et d’une tactique rusées et immorales. »
« L’hémiplégie du président américain, qui ne parle que de la souffrance des Israéliens […]et invisibilise les civils palestiniens tués pourrait lui coûter sa réélection. »
( Financial Times)
Le constat d’un ordre international inégal, où la majorité n’arrive pas à faire entendre son soutien à un cessez-le-feu à Gaza, ravive des vieux rêves de Guerre froide : ne serait-il pas temps de réveiller le « Mouvement des non-alignés », en état de mort cérébral depuis des décennies et dont le 19e sommet s’est tenu du 15 au 20 janvier à Kampala, en Ouganda ? C’est une idée que l’on retrouve dans les lignes du Daily Mirror sri lankais. Ce divorce consommé entre le Sud et les pays développés peut-il se rencontrer au sein des sociétés occidentales ?
L’hémiplégie visuelle du président américain, qui ne parle que de la souffrance des Israéliens du 7 octobre et invisibilise les civils palestiniens tués depuis, pourrait lui couter sa réélection. C’est ce que redoute le chroniqueur Edward Luce du très respectable Financial Times : « De nombreux jeunes Américains, dont l’enthousiasme est indispensable à M. Biden pour le mois de novembre, s’en sont désintéressés. Sans parler des Arabo-Américains, qui constituent un bloc électoral clé dans plusieurs États clés. »
Finalement, peut-être que la rupture est trop grave pour être réparée par quelques déclarations diplomatiques. Le quotidien britannique libéral The Time donne la parole à un diplomate d’un Etat membre du G7 pour qui cette guerre laissera des traces profondes : « Nous avons définitivement perdu la bataille dans le Sud… Oubliez les règles, oubliez l’ordre mondial. Ils ne nous écouteront plus jamais ».
Par Malik Henni