Gaza : l’aveuglement « décolonial »
Le virage identitaire d’une partie de l’extrême-gauche sous l’influence des thèses décoloniales conduit à des aberrations intellectuelles et humaines.
Samedi dernier, défilé pour le droit des femmes et contre les innombrables violences dont elles sont victimes : une partie d’entre elles sont étrangement mises à l’écart. Leur faute ? Protester aussi contre les violences barbares et spécifiques – viols tortures, mutilations – commises le 7 octobre par le Hamas sur des femmes israéliennes. D’autres féministes – c’est la moindre des choses – se scandalisent de cet ostracisme et beaucoup d’associations déclarent se désolidariser de ces pratiques, même si les protestations contre les crimes du Hamas émanant de ces cercles militants n’ont en général pas frappé par leur ampleur ou leur intensité. Comme si, pour certaines féministes, les femmes étaient toutes égales, mais les juives moins que les autres.
Devant ces aberrations, on incriminera l’importation du conflit de Gaza en France, la virulence des soutiens à la cause palestinienne, amplifiée par les terribles bombardements perpétrés par l’armée israélienne à Gaza. Mais l’affaire va plus loin : elle trouve sa racine dans le dangereux virage identitaire pris par une bonne partie de l’extrême-gauche un peu partout dans le monde, sous l’influence des thèses « décoloniales ».
Pour ces partisans, influents dans la jeunesse militante, l’universalisme démocratique qui conduit à défendre les femmes et les hommes opprimés quelle que soit leur origine – et donc les Israéliennes martyrisées comme les autres – doit être dénoncé comme un paravent de l’idéologie coloniale qui continuerait à sévir plus d’un demi-siècle après l’indépendance des peuples naguère asservis par les puissances occidentales.
À cet aune, il n’y a plus, à proprement parler, de vérité objective, mais seulement une lutte des points de vue subjectifs, selon que l’on se situe d’un côté ou de l’autre de la frontière entre dominants et dominés, entre anciennes nations coloniales et nations colonisées. L’identité prime sur la vérité et la justice, notions occidentales suspectes et hypocrites qui nourrissent un « orientalisme » surplombant et trompeur. Les intérêts des opprimés – et donc leur vérité située et particulière – forment le seul critère du jugement.
On voit où mène cette régression obscurantiste dans le conflit palestinien. Selon la vision décoloniale, la dénonciation des crimes du Hamas est mal venue, puisque que ceux-ci sont le fait d’une population opprimée (un essentialisme généralisateur qui fait au passage des terroristes les seuls représentants légitimes du peuple palestinien, passant sous silence la dictature féroce qu’ils exercent à Gaza). Seuls sont audibles les protestations – justifiées en l’occurrence – contre les violences de l’armée israélienne.
Quant aux victimes juives, classées naturellement dans le camp des « dominants », on leur conseille de ne pas trop en faire puisque leur identité blanche, ou occidentale, n’a pas l’heur de figurer parmi les catégories légitimes. Ainsi s’explique l’intolérance qui a pollué le défilé de samedi dernier. Ainsi s’expliquent aussi les arrachages des photos d’otages israéliens placardées ici et là. Ainsi s’expliquent les violences exercées contre les manifestants juifs sur les campus américains. Ainsi s’explique le ralliement soudain de toute une gauche radicale aux thèses du Hamas sur la destruction de l’État d’Israël, comme en atteste la popularité du slogan « From the river to the sea, Palestine will be free », qui passe par pertes et profits décoloniaux l’existence même du peuple israélien.
Réflexions qui ne doivent en rien faire taire, bien sûr, la légitime critique des agissement israéliens, même si elle s’exerce au nom de ces valeurs ringardes et trompeuses que sont l’humanisme, la protection des populations civiles et le droit des gens…