Gaza : le sentier de la paix
Ancien ambassadeur d’Israël en France, universitaire de haut vol, Élie Barnavi a fait le tour des responsables français pour proposer un compromis réaliste entre Israéliens et Palestiniens. Rencontre avec un faiseur de paix
C’est un chemin sinueux, étroit, hérissé d’obstacles redoutables, pointés par tous les sachants désabusés de la géopolitique. Et pourtant il existe. Dans sa fragilité, son incertitude, il est le seul, au milieu de la tragédie, qui pourrait mener vers l’apaisement.
Son éclaireur s’appelle Élie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, universitaire chamarré, spécialiste des guerres de religion en France, c’est-à-dire spécialiste du fanatisme et des moyens de le conjurer, ce qui lui donne quelques repères dans la crise actuelle. Sioniste de gauche, héritier du travaillisme des kibboutzim, proche des négociateurs du défunt « processus d’Oslo », il est un ancien animateur du mouvement « La paix maintenant », et un ami de l’association J-Call, qui entretient la flamme ténue du compromis israélo-palestinien, mise sous l’éteignoir par quinze années de gouvernement Netanyahou.
Vendredi matin, dans un hôtel proche de la Bastille, devant la fine fleur du journalisme français dédié aux questions internationales, il a déroulé son plan, qui est une utopie concrète et immédiatement applicable. Il l’avait exposé auparavant à une pléiade de responsables français, parlementaires, ministres, diplomates, jusqu’à l’Élysée. « Aucun ne m’a dit que c’était impossible », dit-il prudemment.
Ambitieux et précis, le plan doit être imposé par un « groupe de contact » appuyé par Washington et composé des pays européens les plus concernés par la crise, la France, l’Espagne, la Grande-Bretagne et quelques autres, agissant de manière décidée, convaincus qu’il faut éviter l’embrasement général et ramener, au passage, l’apaisement dans leurs propres sociétés déchirées par l’affrontement.
Première étape de ce nouveau processus de paix, fondé sur la rapidité et l’urgence : la gestion de Gaza après la guerre. Barnavi n’a rien d’un pacifiste bêlant ni d’un naïf de la géopolitique. L’action militaire, dit-il, est nécessaire. Contrairement à ce qu’on entend ici et là, elle peut détruire, non le Hamas dans sa totalité ni dans son influence idéologique, mais dans sa force matérielle.
Une fois l’appareil terroriste démantelé à Gaza, ce qui est en cours et continuera après la trêve, Israël doit réfléchir à la suite. Sauf à s’enliser dans une guérilla urbaine sans fin, son armée ne peut assumer la gestion de l’enclave. Barnavi cite Talleyrand : « on peut tout faire avec des baïonnettes, sauf s’asseoir dessus ». Pour éviter cette inconfortable position, le gouvernement israélien – qui ne sera plus celui de Netanyahou, discrédité par ses échecs – doit déléguer cette tâche à une force internationale, composée non de soldats de l’ONU, qui prendraient leurs jambes à leur cou au premier attentat, mais de troupes rattachées à l’Autorité palestinienne et aux pays arabes, plus légitimes, chargées de maintenir l’ordre, d’assurer la vie des Gazaouis après la dictature du Hamas, et de protéger les premiers travaux de reconstruction.
Simultanément, « en même temps », dit Barnavi avec un discret clin d’œil, le groupe de contact lancera de manière énergique, impérative, la mise en place du compromis que les protagonistes directs – Israël et le Hamas – ne peuvent trouver en face-à-face. Pour dégager un interlocuteur légitime, on organiserait en Cisjordanie et à Gaza une élection dont le Hamas, groupe terroriste disqualifié par sa barbarie, serait exclu. Il en sortirait un nouveau pouvoir palestinien, dont le chef pourrait être Marwan Barghouti, leader charismatique aujourd’hui détenu dans une prison israélienne, qui adhère à la solution à deux États et jouit d’une audience incontestable dans la population palestinienne.
On appliquerait aussitôt, trente ans après, les solutions dégagées par le processus d’Oslo, mises au rencart après l’assassinat de Rabin, mais toujours disponibles et techniquement étayées : un État palestinien viable, des garanties certaines de sécurité pour Israël, cautionnées par les États-Unis et le groupe de contact, un arrêt immédiat de la colonisation et le démantèlement des implantations trop éloignées de la frontière, un compromis territorial le long de cette « ligne verte » et un arrangement complexe, mais réaliste à Jérusalem. Le tout sanctionné par Washington, l’Union européenne, l’ONU et les pays arabes intéressés à la paix (Égypte, Jordanie, pays du Golfe, etc.)
Les objections ? Innombrables et fortes. Qui pour succéder à Netanyahou ? Comment rassurer la population israélienne traumatisée par le massacre du 7 octobre ? Comment assurer la résurrection de l’Autorité palestinienne ? Comment garantir l’ordre à Gaza et rendre un début de confiance aux Gazaouis écrasés par les bombardements ? Comment convaincre les pays arabes, divisés et méfiants, de s’engager dans le processus ? Comment imposer aux deux parties séparées par une haine décuplée un compromis qui exclut toute vengeance et toute représailles ? Comment contraindre les colons juifs de Cisjordanie à revenir en Israël, eux qui sont armés jusqu’aux dents et certains de détenir leur légitimité directement de la parole biblique ? Tout cela paraît impossible.
Mais l’autre voie est connue : le malheur sans fin, la domination des fanatiques, la violence sans limites, l’angoisse éternelle des deux populations, le règne symétrique des obscurantistes. En un mot, la guerre de Cent Ans, et peut-être plus… Tel est le choix, dont l’une des branches est probable et l’autre invraisemblable. Mais c’est la seconde qui peut rendre un peu de stabilité à la région, ramener Israéliens et Palestiniens à une vie à peu près normale et, last but not least, consacrer la défaite du Hamas.