Général Gomart : « Netanyahou sera jugé par l’Etat d’Israël »

par Valérie Lecasble |  publié le 29/11/2024

L’ex-directeur de la Direction du Renseignement Militaire, élu député européen Les Républicains le 9 juin, ne croit pas que le Premier ministre israélien sera jugé par la Cour Pénale Internationale (CPI) dont Israël n’a pas ratifié le traité et ne reconnaît pas l’existence. Mais il le sera par son propre pays dès que sera réunie une commission d’enquête, à la fin de la guerre.

Général Christophe Gomart, ancien chef du 13e régiment de dragons parachutistes, puis directeur du renseignement militaire, enfin commandant des forces spéciales. (Photo Marc Charuel / Photo12 AFP)

La Cour Pénale Internationale (CPI) a décidé de poursuivre Benyamin Netanyahou pour juger des 45 000 morts civils de la bande de Gaza depuis le 7 octobre, êtes-vous surpris ?

Oui, je suis surpris car on ne peut mettre sur un même plan un mouvement terroriste ou un chef terroriste et un chef d’état démocratiquement élu. En faisant cela, la CPI met sur un pied d’égalité Benyamin Netanyahou et Vladimir Poutine. Or, ce dernier a envahi un pays voisin, ce qui n’est pas le cas du Premier ministre israélien qui a répondu à une agression suivie d’un massacre mené par des terroristes. Lorsque l’on analyse cette guerre, il ne faut jamais oublier l’électrochoc qu’ont représentés les massacres du 7 octobre. Israël a vu sa survie menacée par des voisins avec lesquels le pays pensait être sincèrement en paix. Cela ne justifie pas tout mais cela permet de mieux comprendre.

Même agressé, Israël a-t-il respecté les règles du combat ?

Pour avoir côtoyé l’armée israélienne et eu de nombreux échanges avec elle, je peux vous dire qu’elle agit comme l’armée d’un pays démocratique. Tsahal est l’émanation de la nation israélienne qui s’est vue disparaître le 7 octobre 2023. Avant de riposter à ce terrible massacre, elle a pris le temps de se préparer et de confirmer ses cibles, c’est à dire les entrées de souterrains, le réseau des tunnels, les dépôts de munitions, les centres de coordination du Hamas, la localisation des chefs et surtout tenter de trouver où étaient cachés leurs otages. Ensuite, avant tout bombardement, elle a cherché à prévenir les populations, d’où les déplacements massifs de centaines de milliers de Gazaouis. Selon moi, les officiers israéliens ont cherché à faire respecter par tous leurs soldats le droit international, les lois et les coutumes de guerre réglementées par les conventions de Genève. Le nombre de soldats israéliens tués au combat est d’ailleurs significatif d’engagements directs et des risques pris.

Les règles d’engagement israéliennes sont-elles acceptables au regard du droit international, sachant qu’un pays comme la France n’accepte aucun dégât collatéral ?

Le droit international dit que les crimes de guerre sont « les violations des lois et coutumes de la guerre ». Ces violations comprennent, sans y être limitées, l’assassinat, les mauvais traitements et la déportation pour des travaux forcés, l’assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre, l’exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages… Les Israéliens ont en effet détruit de très nombreuses habitations. La justification donnée est la présence de terroristes du Hamas, de tunnels, de dépôts. Il est vrai que les terroristes ont souvent profité des hôpitaux, des écoles ou d’habitations privées pour s’y retrancher, s’y cacher… au mépris des Palestiniens dont ils disent être les protecteurs.
En ce qui concerne la France, nous avons connu beaucoup d’opérations, au cours des 40 dernières années, sans doute jamais de cette ampleur. Mais avant d’aller bombarder, détruire ou neutraliser, le chef opérationnel en charge de la conduite de la guerre regarde de très près les effets que peuvent avoir les armes qui vont être utilisées. La France dispose de spécialistes du ciblage dont c’est le métier. Ces spécialistes regardent les effets collatéraux que pourraient avoir l’utilisation de tel ou tel type d’armement. Les Israéliens comme tous les pays occidentaux disposent de ce savoir-faire.

Il y a bien eu des crimes de guerre à Gaza…

Sincèrement, je ne suis pas en mesure de le dire. Je suis persuadé que les Israéliens, comme tout pays démocratique, regarderont de très près et de manière très précise toute suspicion de crime de guerre et sauront prendre les mesures nécessaires. Je ne doute pas un instant qu’ils le fassent, tout d’abord pour comprendre comment le 7 octobre a pu avoir lieu, mais aussi pour juger les soldats qui se seraient rendus coupables de crimes.

Quand l’armée israélienne tue 60 civils pour éliminer un seul agent du Hamas comme récemment dans le Sud Liban, sans aucune sanction, il est normal que son chef fasse l’objet de poursuites ?

En bombardant tel ou tel immeuble dans lequel se cacherait un agent du Hamas ou du Hezbollah, Israël prend en effet le risque de tuer des civils. Quand on écoute leurs porte-paroles, ils disent avoir pris toutes les mesures nécessaires. Il est vrai qu’au vu du nombre de tués, on est en droit de se poser la question. Maintenant, il est nécessaire d’être prudent quant aux chiffres de tués et d’en connaître la source.

Si ce n’est la CPI, qui les jugera ?

Comme je l’ai dit, il y aura sans aucun doute une commission d’enquête dédiée pour comprendre comment ils en sont arrivés là et analyser ce qui s’en est suivi. Il y aura des enquêtes menées par les Israéliens eux-mêmes.

Qu’est exactement la CPI ? Un tribunal militaire ? Une cour de justice internationale ? Êtes-vous choqué qu’on y juge le Premier ministre israélien ?

La Cour pénale internationale (CPI) mène des enquêtes et, le cas échéant, juge les personnes accusées des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale : génocide, crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crime d’agression. Elle a été créée après l’existence de deux TPI (tribunal pénal international) en 2002. Israël a signé le traité de Rome actant de la création de la CPI mais ne l’a pas ratifié, à l’instar des États-Unis. A ce titre, l’État d’Israël ne reconnaît pas son existence. Je pense que Benyamin Netanyahou n’y sera jamais jugé mais qu’il le sera par l’État d’Israël lui-même, dès qu’une commission d’enquête aura été réunie à la fin de la guerre.

Certains sont convaincus que l’objectif de Netanyahou est de chasser tous les Gazaouis pour céder leur territoire aux Israéliens. Leur approche militaire le prouve-t-il ?

Les Israéliens ne veulent plus de menaces à leurs frontières. C’est pourquoi, ils veulent éradiquer les terroristes du Hamas comme ceux du Hezbollah et sans aucun doute les Houthis, tout en affaiblissant l’Iran qui est leur commanditaire et en détruisant ses perspectives de fabrication d’un engin nucléaire. Certains, parmi les Israéliens, veulent sans aucun doute le départ de tous les Gazaouis mais ce n’est pas ce qu’ils disent, tout au moins de manière officielle. Ils veulent vivre en paix avec des voisins pacifiques.

Cette guerre est-elle menée contre le terrorisme ou contre les Palestiniens ?

Elle est vraiment dirigée contre le terrorisme. Je rappelle qu’avant le 7 octobre 2023, Israël avait augmenté largement le nombre de travailleurs palestiniens autorisés à venir sur le sol israélien pour mener leur activité professionnelle. Cette guerre est menée contre des gens dont le seul leitmotiv est la destruction d’Israël.

Netanyahou avait annoncé qu’il éradiquerait les membres du Hamas jusqu’au dernier. On n’y est pas…

On n’y est sans doute pas mais tous les principaux chefs ont été éliminés et au moins 10 000 terroristes ont été tués, selon ce que dit l’état-major de Tsahal. Mais il est difficile de faire la différence entre un terroriste du Hamas qui se cache au milieu d’une population qui lui sert de bouclier et un civil gazaoui. D’où, sans aucun doute, des dégâts collatéraux. On peut le déplorer mais à la guerre, les principales victimes sont la population civile. On l’a oublié, mais pour la libération de la France du joug nazi, les alliés ont bombardé délibérément un grand nombre de nos villes pour y détruire les dépôts logistiques, les postes de commandement, les nœuds routiers ou ferroviaires, … avec un nombre de victimes civiles très important.

Et le Hezbollah ?

Le Hezbollah évalue lui-même à 4 000 de ses combattants le nombre de tués depuis un an. Comme pour le Hamas, toute la hiérarchie du mouvement a été neutralisée, tuée ou blessée (en particulier lors de l’explosion de leurs bippers). Peut-être connaîtrons nous un jour le chiffre exact.

De nouveaux chefs remplaceront ceux qui ont été éliminés et les Gazaouis seront morts pour rien…

C’est tout le problème. En dépit de l’élimination de très nombreux terroristes, d’autres prendront la relève. L’enjeu pour les Israéliens est d’avoir une stratégie de sortie de crise qui va au-delà de la seule élimination, qui est un objectif tactique. Leur objectif stratégique est de vivre en paix avec leurs voisins, dont les Palestiniens. Et cela, c’est beaucoup plus compliqué à atteindre.

Propos recueillis par Valérie Lecasble

Valérie Lecasble

Editorialiste politique