Général Christophe Gomart: « Ils les tueront tous »
Convaincus de jouer la survie de leur État, les Israéliens élimineront tous les membres du Hamas jusqu’au dernier, assure l’ex-directeur du renseignement militaire, ancien commandant des opérations spéciales. Mais comment tuer une idéologie ?
LeJournal.info : Un mois après l’attaque du Hamas, où en est Israël dans son offensive terrestre ?
Christophe Gomart : L’offensive israélienne doit être mise en perspective sur un temps long. Elle est progressive et se déroule étape par étape.
La première étape choisie par les Israéliens, les bombardements, visait à supprimer les capacités de tirs de roquette du Hamas. D’où les 11 000 frappes effectuées par les Israéliens.
Simultanément, ils ont employé les forces spéciales pour mener des repérages sur le terrain dans la bande de Gaza. Afin de localiser les chefs du Hamas, les otages, et aussi les entrées et les sorties des souterrains. Ensuite, il y a eu les reconnaissances légères, pour préciser les premiers renseignements recueillis.
Enfin, les bulldozers ont ouvert la route aux chars pour éviter qu’ils ne sautent sur des mines. Les chars, eux, ont détruit les positions ennemies repérées.
C’est ainsi qu’a été préparée l’entrée de Tsahal dans la bande de Gaza, en dégradant au maximum les capacités militaires du Hamas et en facilitant demain une offensive majeure.
LJ.info : Désormais, Tsahal est entré dans le nord de la bande de Gaza ?
C.G. : Après avoir fait partir la population gazaouie vers le sud pour ne pas être accusé de tuer de manière inconsidérée des civils, les Israéliens sont entrés dans la bande de Gaza par le poste d’Erez dans le nord, la partie la plus stratégique et également par l’Est. Ils descendent vers Gaza ville qu’ils ont entourée, mais sans encore pénétrer à l’intérieur. Ils avancent doucement pour éviter de se précipiter dans la gueule du loup, le piège du Hamas qui s’attendait à une réaction immédiate d’Israël.
Si elles veulent gagner, les troupes à l’offensive d’une ville doivent compter dix attaquants pour un seul défenseur. D’où les coups d’artillerie, la destruction des capacités de roquette, le repérage des entrées et des sorties des tunnels.
D’où aussi l’attaque du poste de commandement du Hamas qui se situe bien comme on le soupçonnait sous le grand hôpital al-Shifa au centre de Gaza. En s’installant là, le Hamas a prouvé qu’il se sert de la population palestinienne pour provoquer l’émotion des pays occidentaux. Sans chercher à la protéger ou à la mettre à l’abri dans les tunnels.
LJ.info : Quel est l’objectif final de guerre d’Israël ?
C.G. : L’éradication du Hamas. Cela prendra le temps qu’il faudra, mais ils élimineront jusqu’au dernier membre du Hamas. Ils vont commencer par traiter et nettoyer le nord de la bande de Gaza pour que plus un seul membre du Hamas n’y soit encore présent. Ils les tueront tous. Pour neutraliser à la fois la branche militaire et la branche politique du Hamas, où qu’ils soient.
Exactement comme ils ont fait lors de la prise en otage d’athlètes israéliens par l’organisation palestinienne Septembre noir en 1972 aux Jeux Olympiques de Munich, ou lors de la recherche des criminels nazis dans les années 1960-70 ou encore lorsqu’ils ont pris en otage des officiers syriens pour faire libérer des soldats israéliens.
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LJ.info : Ils visent donc aussi la branche politique du Hamas ?
C.G. : Oui, ils iront les chercher un par un, au Qatar, en Turquie, dans les Émirats arabes unis, là où ils se trouvent, par le biais d’opérations ciblées.
LJ.info : Quel est aujourd’hui l’état des forces en présence ?
C.G. : L’armée israélienne compte 150 000 soldats d’active, auxquels il faut ajouter 300 000 réservistes, soit une armée de 450 000 hommes et femmes qui sont engagés à la fois dans la bande de Gaza, dans le sud du Liban face au Hezbollah et en Cisjordanie.
Pour intégrer Tsahal (l’armée israélienne), un homme doit effectuer trois années de service militaire, une femme deux ans et un officier cinq ans. Ils sont donc expérimentés. Le temps pris depuis le 7 octobre a aussi été utilisé pour remettre à niveau les réservistes, dont certains s’étaient mis en grève contre la réforme de la Justice de Benyamin Netanyahu. Sans oublier tous ceux qui sont rentrés en Israël depuis des pays étrangers comme la France.
LJ.info : Et pour le Hamas ?
C.G. : La branche militaire du Hamas, ce sont entre 30 000 et 50 000 personnes. Ils ont réussi à en infiltrer 3 000 le 7 octobre, dont 1 500 ont été tués. Le Hezbollah, c’est beaucoup plus. L’objectif des Israéliens est d’isoler Gaza des autres théâtres d’opérations, du Hezbollah au Nord et des sympathisants du Hamas dans le sud du Liban. Les Israéliens n’ont pas assez d’hommes pour se permettre d’avoir plusieurs fronts ouverts à la fois.
LJ.info : Ils ne peuvent donc pas combattre à la fois le Hamas et le Hezbollah ?
C.G. : D’où la présence de bâtiments américains pour dissuader le Hezbollah, poussé par les Iraniens, d’attaquer Israël en leur montrant qu’ils interviendraient en cas d’attaque contre l’État Hébreu. Les Américains ont envoyé sur place deux porte-avions, soit deux groupes aéronavals et un groupe amphibie, c’est quand même plusieurs milliers d’hommes avec des moyens sol-air. Ils sont là pour impressionner le Hamas et en même temps contenir le Hezbollah. Joe Biden et Anthony Blinken sont très clairs : « Qui touche Israël aura affaire à nous ! ». Ils cherchent à empêcher une agrégation des forces entre le Hamas, le Hezbollah et la Cisjordanie.
C’est aussi tout le sens de la destruction par les Israéliens, dès le 12 octobre, des aéroports d’Alep et de Damas, afin d’empêcher les Iraniens de renforcer le Hezbollah. Sinon, des avions iraniens auraient pu s’y poser pour fournir de l’armement, des munitions, des vivres.
LJ.info : Qu’est-ce qui est possible pour sauver les otages ?
C.G. : Les Israéliens viennent de récupérer une soldate israélienne. C’est le signe qu’ils avancent lentement mais sûrement. Ils sont en train de localiser les otages. Le renseignement israélien, très technique, fonctionne grâce à des écoutes téléphoniques, de la cybernétique et des images qu’ils récupèrent depuis les tunnels. Il leur manque la quatrième dimension qu’ils ont perdue au fil des ans, celle des sources humaines. Ils sont en train de les réactiver au sein de la bande de Gaza où il y a des personnes sensibles à la manne d’argent qu’ils peuvent leur verser, ou bien qui sont simplement anti-Hamas.
LJ.info : Et après ?
C.G. : Quand ils auront réussi à localiser les otages, ensuite ils boucheront les entrées et les sorties des autres tunnels. Ils ne vont pas les fouiller un à un. Ils chercheront à les noyer après avoir coupé l’électricité.
Les Israéliens vont éviter à tout prix d’entrer eux-mêmes dans les tunnels qui mesurent des centaines de kilomètres. Le combat dans les tunnels est très difficile. Cela nous rappelle ceux construits par les Vietnamiens lors de la bataille de Dien-Bien-Phu, qu’ils ont gagnée.
En bref, le déroulé de l’opération, c’est d’abord trouver les otages, ensuite préserver les soldats de Tsahal, enfin éviter, autant que faire se peut de tuer des civils car le principe du Hamas est de se servir de cette population pour s’y cacher et agir en bénéficiant de leur protection.
LJ.info : Sur ce dernier point, éviter de tuer des civils, Tsahal a déjà perdu ?
C.G. : On est dans un impensé stratégique que personne ne pouvait imaginer. Rien n’a fonctionné. Ni les grillages surveillés de manière électronique qui devaient empêcher d’accéder au territoire israélien. Ni le Dôme de fer qui doit le protéger des roquettes. Ni Tsahal qui doit défendre le pays mais qui était dans le Nord face à la Cisjordanie. Quand on voit les réservistes de toutes couleurs politiques qui reviennent de tous les pays pour combattre, c’est que l’État d’Israël est en danger. Il en va de la survie d’Israël.
LJ.info : Combien de temps peut durer cette guerre ?
C.G. : Israël va déployer sur la durée ses forces conventionnelles et y adjoindre ses forces spéciales antiterroristes qui vont infiltrer les territoires de Gaza pour reprendre le renseignement. Les incursions sont indispensables pour retrouver les sources.
On sait quand on commence une guerre , mais on ne sait jamais quand on la terminera. La question est son impact sur l’économie israélienne. Les soldats de Tsahal, en particulier les réservistes, ont des métiers par ailleurs. Combien de temps pourront-ils tenir ?
LJ.info : Et quelle issue voyez-vous ?
C.G. : Quand il n’y a pas de victoire militaire de l’un ou de l’autre, la guerre continue. On le voit avec l’Ukraine.
Pour le Hamas, l’occasion est unique de montrer qu’ils peuvent détruire Israël.
Israël veut éradiquer le Hamas et le Hamas veut éradiquer Israël. Ils luttent tous les deux pour leur survie. Ni l’un ni l’autre ne lâchera rien. Il n’y aura pas de cessez-le-feu, car cela signifierait une victoire du Hamas. Même après le Hamas, il restera toujours le Hezbollah. Et d’autres combattants-terroristes se lèveront. On peut tuer le Hamas, mais on ne tue pas une idéologie.
Propos recueillis par Valérie Lecasble