Après l’Ukraine, la Géorgie ?

par Pierre Benoit |  publié le 06/12/2024

Face aux manifestations en faveur d’une adhésion à l’Union Européenne, le gouvernement géorgien réprime de plus en plus fort. 

Manifestations contre le gouvernement à Tbilisi en Géorgie, le 6 décembre 2024. (Photo by Karen Minasyan / AFP)

Depuis une semaine, les Géorgiens battent le pavé tous les soirs à Tbilissi et dans les grandes villes pour réclamer que leur Premier ministre laisse grande ouverte les portes pour une adhésion de leur pays à l’Union Européenne. 

Les drapeaux européens flottent au-dessus de la foule, mais depuis mercredi les rassemblements sont plus violemment réprimés et l’opposant Nika Gvaramia a été arrêté pour quelques heures. Brutalités policières, partis politiques perquisitionnés, intimidations contre les opposants, on assiste à l’orchestration parfaite d’une dérive autoritaire pro-russe de la part du gouvernement du Premier ministre Iraki Kobakhidze. Ce dernier vient même de déclarer « nous ferons tout le nécessaire pour éradiquer le libéralo-fascisme ». Des propos qui font écho à ceux du maître du Kremlin.

A la même période l’année dernière, Bruxelles accordait sans difficulté à la Géorgie le statut de candidat officiel à l’Union. Les sondages faisaient alors apparaitre que 81% des Géorgiens approuvaient le processus d’adhésion à l’Union. Mais, dès le mois de mai, le Premier ministre a fait passer une loi pour contrôler « l’influence étrangère » sur le pays en mettant à l’index les ONG et les médias fonctionnant sur des fonds étrangers. En 2012, une loi russe du même type avait été mise en place par la Douma à Moscou pour réprimer les opposants. La Présidente géorgienne Salomé Zourabichvili avait opposé, en vain, son veto au texte. 

Les élections législatives du 26 octobre ont fini de diviser l’opinion. Le « Rêve géorgien », la formation du Premier ministre, a été déclaré vainqueur avec plus de 53% des votes, mais l’opposition a rejeté ce décompte officiel en mettant en avant de nombreuses anomalies dans les conditions du scrutin et le décompte des voix. Deux jours plus tard, Iraki Kobakhidze annonçait que Tbilissi reportait à 2028 les négociations de la Géorgie avec l’Union Européenne. 

Pendant longtemps, l’opposition géorgienne tablait sur le fait qu’une large partie de l’opinion était favorable à l’intégration à terme du pays dans l’Europe, en comptant sur la Présidente Salomé Zourabichvili, pro-européenne convaincue. Les législatives contestées du mois d’octobre et la dynamique des manifestations actuelles ont eu pour effet de cristalliser les positions et d’accélérer la crise. Mais le danger est là : avec l’Ukraine, la Géorgie est pour la Russie un de ses terrains privilégiés de confrontation avec l’Occident.

A Tbilissi, on retrouve désormais un gouvernement qui cherche à garder des liens avec la Russie avec l’appui d’une fraction de l’opinion et des opposants qui veulent tenir le cap en direction de l’Europe. On pense au scénario ukrainien de 2013, lorsque le Président ukrainien pro-russe Viktor Ianoukovytch a refusé de s’engager dans la voie d’un accord d’association avec l’UE puis s’est trouvé confronté aux manifestants de la place Maïdan. 

Un tel scénario peut-il se reproduire aujourd’hui en Géorgie ? « Je ne pense pas qu’il y aura de nouvelles élections, ni de solution immédiate à la crise », relève Jacques Rupnik, Directeur de recherche au CERI avant d’ajouter, « la Géorgie d’aujourd’hui n’est pas Maïdan. La mobilisation de Tbilissi est plus faible qu’à l’époque en Ukraine. L’enjeu européen est très fort en Géorgie pour ceux qui se battent pour la démocratie, mais le contexte est différent. La guerre en Ukraine renforce l’attachement à l’UE mais inciterait plutôt à la prudence pour ne pas provoquer la Russie. Les Géorgiens connaissent les risques, ils ont vécu 2008 ».

Depuis la guerre de 2008, le pays a perdu 20% de son territoire avec l’occupation russe de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Les régiments russes sont nombreux sur ces deux zones situées au nord et au centre du pays et les soldats de Moscou auraient vite fait de débouler à Tbilissi. 

Pierre Benoit