Gérard Miller : confesseur ou prédateur ?
Passé du culte de Mao au culte du Moi, l’ancien militant d’extrême-gauche se retrouve au banc des accusés
« On n’est pas fier d’avoir ça chez nous », dit Sandrine Rousseau. En effet, Gérard Miller, ancien « psy du PAF », vieux compagnon de route de la gauche et de l’extrême-gauche, se retrouve accusé par une légion de femmes d’avoir confondu, en quelque sorte, divan et alcôve, cure et luxure, séance hypnotique et séquence érotique. Elles sont une quarantaine à lui reprocher des agressions sexuelles, et même des viols, à la faveur de séances d’hypnose (ce qu’il conteste).
L’ancien mao et psychanalyste, chroniqueur télévisuel omniprésent, quoiqu’avide de projecteurs et quelque peu « m’as-tu-vu », avait gardé ses opinions de gauche, quitte à se faire mal voir, comme soutien de Ségolène Royal ou de Jean-Luc-Mélenchon. Il se défend avec intelligence et récuse toute absence de consentement, mais c’est un fait que le nombre des plaignantes et la convergence de leurs témoignages ont de quoi ébranler l’indispensable présomption d’innocence. Perplexité…
Il y a bien sûr une hypothèse : passé de l’austère activisme prolétarien à la scintillante célébrité des plateaux, Gérard Miller a-t-il été saisi par l’ivresse de la puissance médiatique ? De la défense des dominés à l’hubris et des dominants ? Du culte de Mao au culte du Moi ? Peut-être un psychanalyste sans paillettes donnerait-il la réponse.
Un parcours
Dans les « roaring sixties », Miller commence à l’extrême-gauche. Fils d’une famille décimée par la Shoah, il rejoint d’abord la jeunesse communiste, comme souvent parmi les « soixante-huitards », pour dériver, dans l’atmosphère de Mai, vers les sectes prochinoises, à Union des Jeunesses Communistes Marxistes-Léninistes (UJCML), puis à la Gauche prolétarienne (GP). Cohérent avec ses engagements, il part évangéliser les « masses paysannes » en devenant deux ans garçon de ferme dans la Sarthe, avec un succès limité. Le bonheur politique n’était pas dans le pré…
Itinéraire toujours déconcertant avec le recul, qui signe des débuts placés sous le signe de l’aveuglement. Au moment où ces jeunes intellectuels sincères chantaient les louanges de la « Révolution culturelle », les Gardes rouges de Mao tuaient plus d’un million de personnes. Il est vrai que c’était un massacre modéré en comparaison de l’hécatombe provoquée en 1958 par le même Mao au moment de la campagne du « Grand Bond en Avant » (environ vingt millions de morts, selon les estimations basses). Toutes choses patentes, comme l’a montré le précieux Simon Leys, qu’un observateur un peu curieux pouvait savoir en lisant les témoignages de dissidents chinois. Mais les zélotes, par construction, ont des yeux qui ne veulent pas voir.
Peut-être lassé par le militantisme, Miller devient psychanalyste, formé par son frère Jacques-Alain, émule et gendre de Lacan, tout en s’intéressant à l’hypnose, dont il dira plus tard, dans une émission de Thierry Ardisson, peut-être de manière autoprophétique : « Si caricaturale qu’elle soit […], elle ne constitue rien de moins que le noyau même de la structure de domination ». Il commence aussi une carrière d’essayiste avec la publication des Pousse-au-jouir du Maréchal Pétain, brillante analyse du discours vichyste dans la lignée de ses maîtres Barthes, Lacan et Foucault. Il est alors universitaire, conférencier, auteur, brillant sujet de l’extrême-gauche intellectuelle, animateur avec son frère du courant lacanien, dans l’imbroglio des querelles de chapelle du mouvement psychanalytique.
Petit écran
C’est la télévision qui en fait un personnage public. Doué d’une parole coupante et rapide, d’un sens aigu de la répartie, il devient « sniper du PAF » dans plusieurs « talk-shows » au succès populaire, avec Laurent Ruquier, Michel Drucker ou Guillaume Durand. Les uns louent son esprit acide et ses « punchlines » au vitriol, les autres le voient comme un irritant donneur de leçons. Il écrit dans les journaux de gauche, devient réalisateur-producteur pour la télévision, et tâte même du théâtre. À Avignon, il est seul en scène pour un spectacle de sa plume, là encore au titre aujourd’hui évocateur, Manipulations : mode d’emploi, où il décortique les méthodes « des grands hypnotiseurs ».
Il écrit aussi pour plusieurs stars de l’humour seul en scène, Guy Bedos, ce qui est logique, mais aussi Jean-Marie Bigard, ce qui paraît moins cohérent. Il est « l’intello populaire », « le gauchiste à paillettes », passé en quelque sorte de Michel Foucault à Jean-Pierre Foucault. Certains remarquent l’habitude qu’il a prise de fixer rendez-vous, à peine les projecteurs éteints, avec telle ou telle spectatrice plutôt juvénile choisie dans l’assistance, mais personne, manifestement, n’y songe à mal.
De ces contradictions apparentes, Miller se soucie fort peu, ou bien recourt au classique argument de « la subversion du système par l’intérieur ». Sans militer, il s’engage toujours en politique en soutenant Ségolène Royal, puis auprès de Jean-Luc Mélenchon, dont il signe une biographie pour le moins empathique. Enrôlé dans les campagnes de LFI, il participe à la création de la chaîne de télévision Le Média, sorte de CNews insoumise. Peut-être en raison de son caractère péremptoire – ou bien à cause du caractère des autres, on ne sait -, il se brouille avec une partie de l’équipe et claque la porte, tandis que la chaîne part à la dérive au fil des changements de direction.
C’est l’extrait d’un documentaire par lui confectionné, où il interroge avec sympathie le réalisateur Benoît Jacquot sur ses relations avec ses actrices, qui lui est fatal en circulant sur la toile. Celles qui s’affirment aujourd’hui ses victimes ont alors vu remonter à leur mémoire des épisodes qui les ont blessées. Aujourd’hui, tel un Dorian Gray de la radicalité, Miller est affligé d’un double obscur et sulfureux, qui le fait passer du studio au tribunal. Tout pouvoir corrompt, dit l’adage. C’est maintenant aux juges d’en décider.