Géricault : le cheval politique

par Thierry Gandillot |  publié le 07/06/2024

L’auteur du Radeau de la Méduse avait d’abord une folle passion pour les chevaux à qui ils faisait dire l’Histoire

D.R

Chez Géricault, tout est politique, même le cheval. C’est sous cet angle qu’il faut aller voir la belle exposition pensée par Gaëlle Rio, directrice du musée de la Vie romantique et Bruno Chenique, docteur en histoire de l’art. Passionné de cheval, excellent cavalier, Théodore Géricault (1791-1824) a saisi l’animal sous toutes ses formes, de l’écurie à la saillie, du champ de course au champ de bataille.

Il montait, souvent en compagnie de son ami Horace Vernet aux alentours de la rue de Martyrs, non loin du musée qui l’honore aujourd’hui, en prenant les risques les plus fous. Il est d’ailleurs mort, à 32 ans, des suites de chutes de cheval mal soignées. En 1848, Théophile Gautier considérait que « jamais personne n’a mieux peint les chevaux que luiDans la représentation humaine, il a des rivaux, mais dans celle du cheval, il n’en a pas. »

Une section entière de l’exposition est intitulée : « Le cheval politique ». « Suivre, observer, scruter les chevaux de Géricault est en effet un formidable moyen de comprendre les profondes évolutions de la société napoléonienne vers la révolution industrielle : ce fameux passage du cheval militaire au cheval prolétaire. » Plusieurs de ses œuvres semblent condamner l’hubrisnapoléonienne. On rappellera que lors des Cent jours, Géricault s’enrôla dans les Mousquetaires du Roi qui accompagnèrent Louis XVIII lors de sa piteuse fuite. Aragon fit de cette épopée dont Théodore est le héros l’un de ses meilleurs romans, La Semaine Sainte.

 Son premier tableau primé, au salon de 1812, peut être interprété ainsi, selon Chenique : «  Si dans les portraits traditionnels du roi de France, ce dernier pouvait être peint sur un cheval fougueux, il n’avait évidemment aucun mal à le maîtriser. L’animal devenait ainsi le symbole d’un pays parfaitement dompté et gouverné. Dans le portrait équestre de Géricault, ce cheval militaire, ce cheval fou, devient le symbole de Napoléon quand la France, elle, est incarnée par un fils du peuple au regard perdu, mélancolique. »

Selon Michelet, ce soldat-philosophe pense clairement à la mort. Deux ans plus tard,  Cuirassier blessé quittant le feu poursuit la métaphore de la débâcle napoléonienne. Malgré l’immense succès du Radeau de la Méduse au salon de 1819, l’État français ne l’achète pas. Déçu, et pour se refaire, Théodore part l’exposer à Londres où il reçoit un triomphe. Il en profite pour peindre une série d’œuvres sur les victimes de la révolution industrielle. Et en premier lieu les chevaux, qui sont les rouages essentiels de la mutation en cours.

De retour en France, il poursuit avec Le Four à plâtre. «  Ce tableau testamentaire, commente Chenique,  représente le processus d’industrialisation et accorde toute leur importance à ces chevaux prolétaires, l’air paisible, si ce n’est soumis, sans qui rien ne serait possible pas plus que Napoléon n’aurait pu exister sans la force de ses chevaux guerriers. Mais l’époque est désormais à la paix, au deuil, à la reconstruction de la France et de l’Europe. »

Les Chevaux de Géricault- Musée de la Vie romantique- Paris – Jusqu’au 15 septembre

Thierry Gandillot

Chroniqueur cinéma culture